Ce travail remarquable de recherche réalisée à partir du texte « La tempête » met parfaitement en valeur les ressorts qui animent les motivations profondes du théâtre de Shakespeare. Le choix de l’épure quasi-totale des situations place avant tout, nu au centre de l'attention, le récit parlé des personnages qui portent toute la dimension narrative, resserrant les jeux scéniques à l’aspect congru de l’indispensable.
Il est mis en exergue alors devant nous ce qui est de plus noble et de plus important dans le théâtre de Shakespeare : la sincérité des êtres, leurs luttes contre ce qui les oppriment et entravent leur liberté. Sincérité du sentiment de soi et des autres, dans les sphères mentales, intimes ou sociales de l’humain, qui se traduit par le principe de liberté. Liberté de penser par soi-même, liberté d’agir en fonction de ses propres valeurs du Bien et de réagir, dans son rapport au réel et aux autres, à l’immixtion du Mal.
Peter Brook et Marie-Hélène Estienne nous proposent une formidable version de « La tempête », raffinée au double sens du terme, comme un aboutissement d’une création à l’innovation audacieuse et réussie.
« La Tempête est une énigme, c’est une fable où rien ne semble pouvoir être pris à la lettre et si on reste à la surface de la pièce sa qualité cachée nous échappe… Il y a un mot qui revient très souvent dans la pièce, c’est le mot « liberté ». Caliban veut sa liberté, Ariel la sienne qui n’est pas la même et pour Prospero, il doit se libérer de la tâche qu’il s’est infligé lui-même, la vengeance… Arrivé en exilé sur l’île, on pourrait croire qu’il va trouver sa liberté car il possède l’art de la magie et peut transformer les éléments à sa guise… Il ne pardonnera que quand il verra l’amour… Il devra alors faire face à lui-même et à son cœur et décider qu’il doit laisser la magie, enterrer son bâton… Pour finalement rester devant nous, humble, demandant le pardon. »
La proposition dramaturgique exprime tout son éclat et la limpidité de son message essentialisé grâce à cette scénographie centrée sur les personnages plus que sur les situations, avec quelques accessoires qui s’attachent au symbolique. Et, de facto, fait reposer l’ensemble du dispositif sur le travail d’interprétation.
Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini et Ery Nzaramba nous étonnent, nous émeuvent, nous font rire. Avec une incroyable finesse d’engagement, tout en fluidité et en évidence, Chacune et chacun nous touchent et font mouche à chaque coup. Toutes et tous contribuent à créer du début à la fin, en solo, en duo ou ensemble, un climat que le surnaturel survole avec aisance, faisant planer en permanence une poésie du fantastique, nous plongeant tout à fait dans un onirisme enchanteur.
Nous avons là, une magnifique illustration du jeu habité, d’incarnation exemplaire, de personnalisation pure des rôles. Des silences vivants aux déplacements en passant par les expressions, tout est travaillé pour et par le personnage ou celle ou celui qui le joue. On ne sait pas qui conduit l’autre, on ne sait pas distinguer ce qui empêcherait le chemin de la coupe aux lèvres. Un sentiment de perfection nous traverse. C’est époustouflant.
Un spectacle envoutant et captivant. Une beauté de jeu manifeste. Un moment rare de théâtre.
Spectacle vu le 26 avril 2022
Frédéric Perez
Un spectacle issu d'une recherche autour de « La Tempête » de William Shakespeare. Adaptation et mise en scène de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne. Lumières de Philippe Vialatte. Chants de Harué Momoyama.
Avec Sylvain Levitte, Paula Luna, Fabio Maniglio, Luca Maniglio, Marilú Marini et Ery Nzaramba
Jusqu’au 30 avril
De mardi à vendredi à 20h30, samedi à 15h30 et 20h30
37 bis boulevard de La Chapelle, Paris 10ème
01.46.07.34.50 www.bouffesdunord.com