L'auteur Serge Valletti nous dresse le tableau troublant de deux locuteurs qui se parlent, à moins que cela ne soit l’inverse et qu’il s’agisse d’une parole adressée à son image inversée. Qui est qui, de quoi et à qui parlent-ils ? Surprenant et détonant, le texte intrigue d’emblée et captive.
« Deux hommes qui s’interrogent, deux personnages qui cherchent un accord. Des humains qui se demandent comment faire pour vivre en étant en accord avec soi-même. Et surtout avec tous nos différents nous-mêmes : gentils et méchants ! Créatifs et destructeurs ! Un combat sur la nécessité d’en finir. Oui, mais lequel et comment ? Car même par amour c’est compliqué d’éliminer l’autre… »
La proximité des thèmes abordés tout comme la loquacité des expressions se confrontent à l’impression diffuse d’étrangeté familière qui se dégage dès le début et nous suivra jusqu’à la fin. Comme dans un rêve éveillé où la pensée chemine, où l’on ne saurait distinguer le principal de l’essentiel, le futile de l’accessoire mais où tout semble nécessaire, là, finalement à sa place. En effet, peu à peu, cahin caha, les signaux s'allument et nous entrevoyons le cheminement labyrinthique dans lequel ces paroles se font de plus en plus univoques, ces dialogues ne feraient donc qu'un.
Nous retrouvons avec plaisir le style de Valletti. La narration fragmentée des personnages donnent lieu à des dialogues décalés et des situations surréalistes.
Et à nouveau, cette sensation d’une réflexion filante sur la condition humaine, les difficultés de communication et d'adaptation dans un monde chaotique qui entoure des êtres inadaptés ou qui ne veulent pas être confondus. Solitudes ordinaires pour trajets chaloupés. Pensées aux rationalités autotéliques. Débats intérieurs aux aspects de dialogues.
La mise en scène de Gilbert Rouvière fait le choix efficace et bienvenu chez Valetti de laisser le texte prendre toute sa place et de le faire résonner dans un univers naturaliste et singulier où le réalisme des situations est parsemé de ruptures.
Le jeu prévaut avant tout, équilibré, nuancé et tonique. Les deux hommes s'invectivent, s'écoutent, se lamentent, se soutiennent et se gaussent l'un de l'autre sans arrêt à la façon de deux clowns faisant leur numéro. Ne ponctuent-ils pas cette "conversation" de pauses musicales, l'un jouant du tuba, l'autre de la trompette ? Ne serait-ce pas une gestuelle clownesque que nous voyons par moments faite de bonds, de pas dansés sans pourquoi ni comment ?
Les comédiens Jean-Claude Leguay et Daniel Martin s’emparent de la partition avec gourmandise et s’entendent à merveille pour nous offrir un superbe moment de théâtre de la parole. Ils sont truculents et sensibles, crédibles et convaincants. Chapeau bas messieurs.
Un spectacle réjouissant et curieux, intrusif et drôle, magnifiquement joué. Un incontournable rendez-vous du festival sans aucun doute !
Spectacle vu le 12 juillet 2023,
Frédéric Perez
De Serge Valletti. Mise en scène de Gilbert Rouvière. Scénographie de Marie Nicolas. Constructeur : Arscenes. Régie Générale de Frédéric André.
Avec Jean-Claude Leguay et Daniel Martin.
17h30 - relâche les lundis