FARCES ET NOUVELLES DE TCHEKHOV au Lucernaire

(LES MÉFAITS DU TABAC, UNE DEMANDE EN MARIAGE, UN DRAME ou LES MÉFAITS DU TABAC, L’OURS, LA MORT D’UN FONCTIONNAIRE)

Le parti pris de Pierre Pradinas souligne la dimension profondément humaniste des personnages dépeints par Tchekhov dans l’ensemble de son œuvre. Il expose ici, dans ces farces et nouvelles (ce soir LES MÉFAITS DU TABAC, UNE DEMANDE EN MARIAGE et UN DRAME), toute l’espièglerie et la fragilité qui colorent leurs tribulations où la confusion et la coïncidence, la démence et le délire, l’outrance et l’effondrement sont autant de ressorts dramaturgiques efficaces et prégnants, les rendant drôles et pathétiques.

« Une galerie de personnages qui émaillent l’univers de Tchekhov, celui de ses nouvelles et de ses pièces courtes : paysans, employés de banque, personnes endettées… en lutte dans un monde malade. Ils vivent à la fin du XIXe siècle en Russie, mais ils sont toujours là ! Nous assistons à un enchaînement d’histoires courtes chargées de rire, de cruauté et de beaucoup de tendresse. » 

Le ton est vite donné. Depuis les élucubrations des machinistes préparant le plateau à vue entre chacune des pièces, jusqu’aux scènes jouées, place est faite au théâtre de la vie que Tchekhov s’amuse à singer. Sur ses tréteaux, Pradinas montre avec un amusement débridé combien pour Tchekhov la vie est un théâtre.

La scénographie et la mise en scène placent les relations interpersonnelles au point d’équilibre des situations et des rebondissements, que cela soit dans UNE DEMANDE EN MARIAGE et UN DRAME, et même dans le monologue LES MÉFAITS DU TABAC où l’absence omniprésente de l’épouse plane et pique sur les propos de son conférencier d’époux. Les arguments sont quasiment relégués au rang de prétextes pour nous montrer plus précisément le cheminement sensible et éperdument attachant de ces hommes et femmes pris dans le carcan des aléas de leurs sorts, de leurs craintes, de leurs soumissions et de leurs rébellions face aux normes qui leur sont imposées et qu’ils s’imposent à eux-mêmes.

L’interprétation de cette brochette humaine est à l’avenant de cette ribambelle de tracasseries et d’incompréhensions fondés sur la bêtise peut-être, la sublimation du sentiment de soi sans doute et la pression des conventions sociales assurément. Quentin Baillot, Romain Bertrand, Laure Descamps et Philippe Rebbot sont totalement crédibles dans ces partitions finement décrites et offrent des jeux convaincants pour les servir. Elle et ils s’emparent de leurs rôles dans une oscillation permanente entre la drôlerie irrésistible du texte ainsi rendu et l’attachante émotion des atermoiements incessants de leurs personnages. Toniques tout le long, exubérants par éclats, doucereux à souhait, sensibles toujours, on les regarde et on les écoute, le sourire aux lèvres et le rire à portée, comme ils se montrent, avec tendresse et compassion. Un fichu beau travail.

Un spectacle agréable et drôle qui propose une approche affectueusement délicate et délicieusement rieuse des textes choisis. Une promenade intéressante et divertissante dans l’univers de Tchekhov. Courez-y sans hésiter !

Spectacle vu le 14 novembre 2023

Frédéric Perez

De Anton Tchekhov. Traductions des farces par André Marcowicz et Françoise Morvan, des nouvelles par Elsa Triolet. Mise en scène Pierre Pradinas. Collaborateur artistique Simon Pradinas. Assistant Simon Courtois. Création Musicale Christophe « Disco » Minck. Lumières Orazio Trotta. Costumes Céline Guignard.

Avec Quentin Baillot, Louis Benmokhtar, Romain Bertrand, Aurélien Chaussade, Laure Descamps, Maloue Fourdrinier, Maud Gentien, Philippe Rebbot et Prune Ventura.