Tout commence par un malaise, ou plutôt des malaises. Vous savez, ces malaises que l'on ressent lorsque l'on se retrouve dans des situations incongrues, des endroits un peu inquiétants où la gêne voire la crainte prend le dessus sur nos émotions. Mais si, ces moments faits de silences, d'hésitations et de doutes. Ça y est, vous y êtes ? et bien c'était ça pour moi hier soir, au théâtre, devant ces quatre personnages qui entrent chacun leur tour sur le plateau et découvrent qu'ils ne s'y sentent pas en terrain familier, en quelque sorte en Terra incognita.
« Si l’illustre Freud se cache (peut-être) derrière ce titre qui reprend celui d’une de ses publications, c’est pour mieux se servir de son argumentation pour en faire matière à théâtre. Nulle intention ici de nous assommer d’un exposé indigeste ou d’une conférence plombante sur les liens entre l’individu et la société mais il s’agit au contraire de mettre en acte nos pulsions néfastes issues de nos frustrations contenues par le carcan social. »
Nous voici plongés dans une aventure théâtrale insolite, un rien dérangeante tant elle vient exciter notre curiosité et provoquer implacablement des impressions. Nous cheminons dans un parcours labyrinthique parsemé d’embuches et de surprises. Les rires fusent tout à coup puis les sourires s’installent entre eux et ce, tout le long. Notre réflexion tente de nous aider à comprendre ce qui se passe. Qu’est-ce qui leur arrive donc à ceux-ci ?
Mais avons-nous vraiment besoin de comprendre ? Ce besoin serait-il un désir ou une nécessité ?...
Faire de la tentation une tentative pour se libérer des retenues et des réserves, vestiges de refoulements installés ou de réflexes conditionnés. Laisser filer les envies et faire fi des frustrations en les transformant en « expériences de soi » pour les vivre enfin. Jouir du combat de la pulsion de vie contre la pulsion de mort, dirait Freud. Savourer la prédominance du principe de plaisir sur le principe de réalité, ajouterait-il.
Le texte de Étienne Lepage et les situations développées servent une transgression traversant tout le spectacle. Dans un esprit jusqu'au-boutiste, une ambiance s'installe qui balance entre l'inquiétude de ce qu'ils vont faire et l'envie irrésistible qu'ils osent le faire.
La mise en scène de Alix Dufresne et Étienne Lepage composent avec rigueur et fluidité un cadre à ces magnifiques clowneries matinées d'absurde et teintées de justifications philosophiques, imprécises certes, mais qui nous mettent en chemin de penser et surtout de rire intelligemment.
Grotesques à souhait et trash a volo, les quatre personnages sont finement maîtrisés par Rose-Anne Déry, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon et Alice Moreault qui nous embarquent dans leurs délires sans réserve ni agressivité. Remplis de fougue, d’adresse et de délicatesse dans les jeux qui ne sont pas éloignés de l’art du clown, elles et ils réussissent à distiller une empathie qui nous rend complices et admiratifs de leur performance.
Ce spectacle est un vif plaisir. Je recommande.
Spectacle vu le 25 mai 2024
Frédéric Perez
Texte de Étienne Lepage. Mise en scène de Alix Dufresne et Étienne Lepage. Cocréation de Florence Blain Mbaye, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon et Alice Moreault. Scénographie et costumes de Odile Gamache. Lumières de Leticia Hamaoui. Musique de Robert Marcel Lepage.
Avec Rose-Anne Déry, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon et Alice Moreault.
Spectacle vu dans le cadre du Paris Globe, Festival Artistique International
À voir en juillet 2024 au festival Off d’Avignon à la Manufacture