Un spectacle d'une force inouïe par son texte, sa mise en vie et son interprétation. La forme du théâtre d'appartement accentue sa portée. La proximité avec les personnages oblige à se laisser prendre et surprendre par le récit et par les sensations qui s'en dégage. Notre imaginaire est mobilisé ici avec une adresse notable qui nous plonge littéralement dans le spectacle.
« Maman pourquoi que tu me donnes jamais la main ?... On ne manquait ni d'attention ni d'amour à la maison. Mais quand même : pourquoi éviter toujours de nous prendre la main ? On est restés sans réponse jusqu'au jour de sa mort. Là, dans ce salon sans souvenirs, c'est au creux de ses paumes, qu'on a écouté l'histoire de son corps qu'elle avait toujours voulu nous épargner. »
La conception du spectacle s'appuie sur un recueil de paroles effectué auprès de travailleuses et travailleurs invisibilisés. Les questions relatives à la condition des employés et notamment celles des femmes dans le monde ouvrier sont centrales dans cette fiction-documentaire. La pénibilité des corps exposés à la dureté des travaux, le harcèlement ou l'humiliation mais aussi les conséquences psychosociales engendrées composent la palette de couleurs des personnages.
L'histoire de cette mère et de ses trois enfants, aux côtés de la peinture sociale, nous propose le tableau de relations affectives intrafamiliales abîmées, empêchées ou meurtries. Comme le sont le don de soi de la mère pour ses enfants qui la conduit jusqu'à l'effacement, le renoncement et le désir d'oubli ou encore les difficultés voire les obstacles de communication au sein de la fratrie.
La richesse et la complexité des questions abordées prennent vie dans une forme narrative singulière et prégnante. Des parties de récit conté s'alternent ou se juxtaposent avec des scènes jouées accompagnées souvent de didascalies énoncées. Ce truchement est formidablement attrayant, intrusif et spectaculaire.
Nous retrouvons le travail d'écriture et de mise en scène de Florian Pâque avec un vif intérêt et une curiosité mise en exergue. Nous ne sommes pas déçus. Une nouvelle fois, nous voici déroutés et conquis. Le texte "très écrit", fluide et accessible se fait riche et percutant. La mise en scène finement élaborée présente une esthétique théâtrale lumineuse qui mobilise la raison et l'émotion du spectateur. Les indications d'interprétation comme le soin apporté aux détails, aux lumières, aux sons et aux accessoires, favorise cette impression d'être dans un ailleurs raisonné quasi fabuleux. Là où le beau est au service du message. Là où l’onirique côtoie le réalisme.
L'interprétation est détonante. Florian Pâque, Loelia Salvador et Nicolas Schmitt sont criants de vérité. Leurs jeux justes et fins, puissants et vibrants d'émotion nous captivent tout le long.
Du théâtre comme on aime. Du théâtre social et en cela militant. Mais du théâtre surtout, d'abord et encore, qui prend soin de toucher la sensibilité du public en lui permettant de réfléchir. Un très beau moment.
Spectacle vu le 12 juillet 2024
Frédéric Perez
Texte et mise en scène de Florian Pâque. Scénographie de Marlène Berkane. Création sonore de Camille Vitté. Création lumières et vidéo de Hugo Fleurance. Accessoires de Marion Pellarini. Costumes de Jérémy Vitté.
Avec Florian Pâque, Loelia Salvador et Nicolas Schmitt.