Voici une nouvelle pièce brillante sur l’occupation. Voilà les peurs qui ressurgissent de la mémoire, la rage qui en ressort nous envahit encore. Et toujours, cet inextricable besoin de dépasser l’oubli pour laisser béante, au regard de nos contemporains jeunes et vieux, la blessure d'une humanité ravagée, souillée et humiliée, trop souvent trahie par elle-même. Pour que jamais ne s’effacent quelle horreur et quelle connerie la guerre.
Aujourd’hui, la distance prise avec cette période permet à ces récits de l’effroi un voile de légèreté bienvenu. Pour rendre attractifs les messages, contribuer à la résilience tout en ne cessant pas de penser aux souillures de ce passé meurtri. Le texte de Anthony Michineau reprend des événements troublants et malheureusement ordinaires de la vie de la population sous l’occupation. Il tisse une histoire dans l’Histoire et nous offre une fiction documentée, riche en rebondissements, aux répliques adroites qui font mouche.
« Juin 1942, dans un dépôt de tissus parisien. Raymond Martineau, le patron, ne réussit pas à imposer son autorité à sa fille ni à sa femme. Et puis il y a aussi Joseph, son plus jeune employé, dont le père est breton mais dont la mère est juive. Et enfin il y a Louis, son plus vieil employé, dont le nouvel ami Marcel est un collabo de la pire espèce. »
Dans une mise en vie qui installe un naturalisme réaliste, du décor aux accessoires et aux costumes soignés, Julien Alluguette signe une mise en scène avec une évidente volonté d’émouvoir et organise l’espace-temps du récit sur le plateau avec une simplicité et une précision efficaces. Reste aux comédiens toute la place et le soin de nous entreprendre.
Les jeux de la troupe se font suggestifs puis très vite intrusifs. Chaque personnage nous parle tout près, tout en sincérité et en engagement. La narration est emplie d’émotion.
Guillaume Bouchède campe un remarquable patriarche qui inonde la pièce de sa bonhommie drôle servant un propos salvateur. Stéphanie Caillol et Axelle Dodier donnent aux personnages de la fille et de la mère une sensibilité à fleur de peau et une vigueur détonante. Julien Crampon (Joseph) et Anthony Michineau (Louis) sont convaincants et justes. Nicolas Martinez est Marcel, il apporte tout le cynisme et la brutalité qu’il faut pour qu’on haïsse son collabo de personnage et il y arrive, haut la main, avec un naturel désarmant.
Un spectacle qui allie l’agrément et l’intérêt d’un récit social et historique prégnant et piqué d’humour. Un moment de théâtre habile et agréable, touchant et nécessaire. Je conseille.
Spectacle vu le 28 août 2024
Frédéric Perez
De Anthony Michineau. Mise en scène de Julien Alluguette assisté par Blandine Guimard. Scénographie de Georges Vauraz. Création sonore de Yohann Roques. Lumières de Ronan Le Magorec.
Avec Guillaume Bouchède, Stéphanie Caillol, Julien Crampon, Axelle Dodier, Nicolas Martinez et Anthony Michineau.
Du mercredi au samedi à 21h,
matinées le samedi à 16h30 et le dimanche à 17h
https://www.lesplendid.com/project/les-marchands-detoiles/