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Troublante et captivante, cette pièce illustre la quête inlassable et nécessaire du droit à l’acception de l’autre, à sa différence. Une quête qui peut prendre des atours chaotiques et douloureux comme celle de Vincent, ce père mis face à lui, à l’histoire de son rôle parental, alors que ses propres normes se trouvent bousculées voire envahies par une réalité qui ne se fond pas dans une vérité acceptable établie. Une quête qui va le conduire s’il le veut bien et s’il le peut, à mieux comprendre voire à découvrir ce qu’il croyait savoir de son fils jusqu’à, peut-être, changer son regard.

« Six mois après le départ brutal de son fils Alexandre, Vincent reçoit la visite d’Éric, un homme qu’il ne connaît pas et dont il n’a jamais entendu parler. L’inconnu se présente d’abord comme un simple coursier venu récupérer les affaires de l’adolescent. Supposée durer quelques minutes à peine, l’entrevue se prolonge pourtant imperceptiblement : Éric se révèle être plus qu’un émissaire, il connaît intimement Alexandre. »

Une vérité silencieuse sourde tout le long de ce huis clos explosif. L’auteur Charif Ghattas met en vie un sujet de l'intime, l’abordant dans une forme un peu mystérieuse comme pour envelopper le doute d’un voile et protéger le retrait. Et pourtant, même si l’on ne peut parler par crainte du rejet, comment éviter l’obligation désirée autant que redoutée d’entendre l’inévitable ?

L’autorité paternelle se confronte avec violence aux révélations qui tombent et éclaboussent l’équilibre identitaire construit. La déstabilisation installe une lutte intestine qui rode du début à la fin, s’envole par moments et s’abat en piqué. L’autorité de Vincent, vive ou latente, la protection et les prescriptions qui ont recouvert les choix du fils et scellé les postures paternelles s’effritent. Et si Éric vient s’interposer dans cette histoire familiale interrompue, tant pis si la violence des propos et des gestes tache et blesse. Il faut bien tenter le sort pour que soit remise en jeu cette image du père, pour que peu à peu celle-ci craquelle et laisse présager un autre monde possible.

Une sorte de récit de la tolérance se joue devant nous. Un récit construit de manière énigmatique où le suspense est géré avec minutie, et les dialogues ciselés et efficaces. La mise en scène de l’auteur choie l’énonciation du texte. Pas de figures ni d’ajouts, une épure scénographique stricte expose cette joute prégnante. Les accessoires sont réduits à l’indispensable et revêtent uniquement une importance textuelle et symbolique. Comme ces deux tapis carrés posés côte à côte sur le plateau signifiant les espaces de combat et ce sac de linge au devant qui sera vidé et rempli à deux reprises, imageant un avant et un après.

Les deux comédiens Xavier Bazin (Éric) et Niels Dubost (Vincent) s’emparent de cette histoire avec enthousiasme et profondeur. Ils incarnent avec justesse et précision des personnages habités par leurs imperfections et leurs silences, leurs réserves et leurs colères. Chacun d’eux et ensemble, donnent à la pièce une force qui simpose et une émotion qui passe la rampe.

Un moment de théâtre de l’intime comme on aime, qui percute la réflexion et charrie des impressions. Une plongée intrusive dans un récit intéressant et très bien joué. Je recommande.

 

Spectacle vu le 8 octobre 2024

Frédéric Perez

 

Texte et mise en scène de Charif Ghattas. Lumières de Gaspard Gauthier. Scénographie de Laure Montagné et Charif Ghattas.

Avec Xavier Bazin et Niels Dubost.

 

Photo © DR

Photo © DR

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Photo © DR

Photo © Laurent Ferrarri

Photo © Laurent Ferrarri

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