
Voici une pièce de douce romance avec un joli propos pour argument. La rencontre, pourtant bannie par l’usage, entre une marraine de guerre et son soldat. Une rencontre assortie de retrouvailles qui se révèlent vibrantes et délicates à la fois. Les deux personnages, qui sont passés de l'échange au demeurant épistolaire regorgeant de ses rêveries imaginaires, à la découverte réelle, nous feront vivre leur histoire.
« Pourquoi Clémence, qui vient de perdre son mari à la guerre, a-t-elle accepté d'entretenir une correspondance avec ce soldat dont elle ne sait rien sinon qu'il est beaucoup plus jeune qu'elle et qu'il n'est pas de son monde ? Et surtout, pourquoi a-t-elle accepté de le rencontrer ? Ces questions, le pauvre Anatole se les pose aussi. Qu'espère-t-il de cette entrevue ? Qu'est-ce qu'un homme à l'avenir incertain peut-il attendre d'une femme qui ne croit plus en rien ? »
Que nous réserve ces moments de rencontres attendues voire sublimées par l’un et sans doute l’autre, malgré les réticences de la prude bourgeoise aux allures de femme libre et les approches appuyées du jeune soldat en manque d’affection et de chair ? Sentiments et sensations vont s'égrener, s'enrichir et nous plaire. Nous assisterons à des combats mouchetés, toujours sincères, teintés d'élégance coquette parfois garce et graveleuse entre le désir charnel et le désir d'amour. Puis le temps d'un entremêlement de ces désirs arrivera, jusqu'à la conclusion.
L’écriture de Benoît Marbot expose les personnages et les situations dans un naturalisme simple et descriptif, filant l’émotion à la manière d’un drame romantique moderne. La narration traverse ainsi le tragique en reflétant la peur et l'angoisse de la mort du soldat. Le pathétique, en reflétant les combats moraux puis la souffrance de l’attente de Clémence. Et le comique, en parsemant d'humour les répliques. Nous sourions et nous sommes émus par ce duo inattendu, nous craignons pour eux. Nous ne sommes jamais loin de la rêverie éveillée que suscitent les histoires d’amour improbables.
« Cette histoire, c'est l'histoire d'un amour. Cette complainte, c'est la plainte de deux cœurs. Un roman comme tant d'autres, qui pourrait être le vôtre, gens d'ici ou bien d'ailleurs. »
La photographie d’un parc, décor des rencontres, est dressée sur un écran en fond de plateau à la manière d’une toile peinte du théâtre d’antan. Un banc sur le devant côté cour, un réverbère à jardin, et quelques accessoires signifiants. Avec les très saillants costumes d’époque, le dispositif scénique est réduit à l'épure. Entre chaque tableau de scènes, quelques mesures d’une chanson datant des années de la première guerre. L’essentiel de la peinture contextuelle passera par l’imaginaire du spectateur. L’attention est centrée sur les paroles et les attitudes des personnages. L’interprétation est essentielle.
Nous retrouvons avec plaisir Sylvia Roux, admirable comédienne, qui sait nous faire passer avec une légèreté espiègle, des minauderies d’une veuve effarouchée mais sincère, sachant qui elle veut être, à la femme piquée par les passions de l'amour. Nous notons la prestation de Jean-Nicolas Gaitte, que nous découvrons ici, qui campe de manière remarquable Anatole, ce soldat fougueux et agité de désirs devenant peu à peu un homme attentif et amoureux.
Une pièce romantique moderne, ce n’est pas si fréquent. Ici, bien écrite et bien jouée. Un moment agréable, comme le sont les beaux amours contés.
Spectacle vu le 23 mars 2025
Frédéric Perez
Texte et mise en scène de Benoît Marbot. Décor et costumes de Philippe Varache assisté de Michael Lebrasse.
Avec Sylvia Roux et Jean-Nicolas Gaitte.