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Un spectacle drôlissime aux allures d’une formidable « fantasia chez les beaufs friqués », d'où qu'ils viennent et quels qu'ils soient, de la noblesse royale de naguère aux riches parvenus d'aujourd'hui. Une « fantasia » chez des beaufs à l’innocence crasse et au verbe haut.
« Nous sommes au Petit Trianon à Versailles, peu de temps avant la fameuse Révolution. Louis XVI a offert une nouvelle cuisine à sa femme, la reine de France. Réunis avec leurs amis la princesse de Lamballe, le comte d’Artois, Fred et Déborah, ils devisent tranquillement sur le cours des choses. Marie-Antoinette a l’accent ariégeois et chante du Amel Bent ; Louis XVI contemple l’avenir incertain. Ces brèves de boudoir racontent un monde qui s’achève au son doucement mélancolique de la viole de gambe. »
Des monceaux de stéréotypes chargés lourdement de poncifs bien sentis sont déversés en cascades, entrecoupés de moments suspendus aux silences plus longs que ça tu meurs, qui nous laissent le temps de rire de ces non-sens qui forment peu à peu une poésie du ridicule. Nous sommes emportés dans un savoureux délire burlesque totalement déjanté et impeccablement classieux, qui fuse de toutes parts sans que jamais on ne comprenne pourquoi ça et pas ça. Ça nous tombe dessus tout à coup, c’est tout. Un délice qui surprend en permanence par son élégance espiègle truffée de ruptures bien ficelées. Les éclats de rire s'échappent et les rires mitraillent.
L’autrice Nicole Genovese s’amuse une nouvelle fois à nous scotcher contre le mur tout en nous transportant dans une fiction qui ne manque pas de culot et qui emprunte à la réalité les traits caractéristiques de la bêtise humaine avec une désinvolture ironique. Tout y passe ou presque. La séduction interpersonnelle mielleuse, la manipulation de masse insidieuse et manifeste, la quête incessante du paraître « le plus » ou « la plus » quelque chose. Autant de saillies entendables dans le bar du coin ou sur le marché du mercredi, en passant par la téléréalité entendue par la fenêtre ouverte des voisins pas encore morts, jusqu’aux insupportables commentaires de posts lus dans les réseaux sociaux avant lavage sévère au Dacryum. C’est dans cette plongée que nous sommes, en apnée volontaire.
Souvent, une façon de malaise nous enveloppe face à ces tableaux vivants arrêtés et ces propos de haute intellectualité et de bas QI qui nous rappellent tellement trop notre réalité sociale ambiante. Avec cette autrice qui ose tout, le ridicule ne tue pas mais il nous fait franchement rire, tant ses personnages semblent se vautrer avec délectation dans la lie de l’outrage imbécile et impudent de leurs certitudes prétentieuses. On rie et on s’étonne de réfléchir finalement autant car le propos est cousu de fils de fronce cocasses et incongrus, et le geste toujours élégant. Les comiques convoqués, comique de répétition et comique de situation, sont toujours placés en décalages ravageurs. Et même si l’ensemble mériterait d’être un peu raccourci, nous sommes cueillis dès la première scène jusqu’à la fin.
L'interprétation musicale et les jeux sont d'excellence. Sébastien Chassagne, Nicole Genovese, Robert Bogdan Hatisi, Francisco Mañalich, Nabila Mekkid, Raouf Raïs (hier soir) et Angélique Zaini s’en donnent à cœur joie et démontrent une maîtrise fluide et efficace. C’est remarquable. Leurs personnages sont crédibles, époustouflants de cynisme simple et de fourberie léchée. C'est véritablement bluffant. La mise en scène de Claude Vanessa se fond à merveille dans ce texte complexe de Nicole Genovese et propose des scènes où la vitrine des vanités, les combats de surestimes de soi et la prétention veule rivalisant de subtilités passent allègrement la rampe.
Un superbe moment de théâtre burlesque où le rire cache la catharsis mais ne l’efface pas. Une mise en vie brillante. Voici une gourmandise drolatique rare. Je recommande vivement.
Spectacle vu le 6 mai 2025
Frédéric Perez
Texte Nicole Genovese, mise en scène Claude Vanessa, musique Francisco Mañalich, collaboration artistique Adrienne Winling, création et régie son Émile Wacquiez, création régie lumières-régie générale, Pierre Daubigny, costumes Julie Dhomps, scénographie Nicole Genovese et Pierre Daubigny avec le conseil d’Antoine Fontaine et Émilie Roy, construction Eclectik Sceno, peintures Lùlù Zhang.
Avec Solal Bouloudnine en alternance avec Raouf Raïs, Sébastien Chassagne, Nicole Genovese, Robert Bogdan Hatisi, Francisco Mañalich, Nabila Mekkid, Angélique Zaini.
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Extrait musical - Le rêve et la plainte de Nicole Genovese - Théâtre Les Bouffes du Nord déc. 2022
Extrait musical de la pièce LE REVE ET LA PLAINTE Chant de la Princesse de Lamballe et du Comte Alexandre de Tilly Composition musicale : Francisco Mañalich Interprétation : Angélique Zaini ...