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Avec ce monologue émouvant et intense, souvent rieur, Jean-Pierre Bouvier, très inspiré, est tout à son affaire et nous entraîne dans un tourbillon de sensations et de découvertes. Il nous livre une prestation époustouflante avec l’incarnation sensible, charnelle et sanguine d’un homme prisonnier de sa quête éperdue le conduisant à affronter ses attirances, ses doutes et ses frustrations. Une quête insolente d’héroïsme face à l’opposition supposée d’une femme ne répondant pas à ses attentes.

« Il voulait être seul. Et puis elle entre dans son compartiment. Elle ne le regarde pas. Pire encore, c’est comme s’il n’existait pas. Elle lit. Qui est-elle ? A quoi joue-t-elle ? Qui est cette inconnue, proche de la "passante" de Baudelaire ? Que cache-t-elle ? Aussitôt, des textes sur les femmes et la séduction surgissent, se recoupent et se contredisent. Le jeu est grave et rieur. Le spectacle est comme une boîte dont on sort des cartes imprévues, mais de la même famille, celle du cœur. »

Nous sommes en présence d’une sorte de Dom Juan multiple, dépité et malheureux, combatif et passionné, réveillé d’entre les souvenirs. Un séducteur qui tente de surmonter un nouvel échec en transcendant sa douleur dans les paroles d’autres héros victimes de l’amour. Ces héros que le comédien connait parfaitement pour les avoir joués ou lus et qui sont autant de personnages célèbres de la littérature classique et moderne dans lesquelles Jean-Philippe Arrou-Vignod a puisé la fougue et les mots significatifs pour tisser un texte habile.

« Il voulait être seul. Et puis elle entre dans son compartiment ». Pourquoi ce compartiment (est-ce bien un compartiment d’ailleurs) ? Pourquoi cette femme (une seule femme, on peut en douter assurément) ? Et pourquoi oublier ce livre avant de sortir (un oubli, vraiment) ?

Prétexte, rêve éveillé, acte manqué ? La confusion s’instille aisément dans ce trouble ambiant qui compose peu à peu un univers féérique et captivant. S’agit-il de fiction, de fantasme, d’illusion, d’hallucination, voire d’un précis de tout ceci ?

À la réflexion peut-être pas, ce monologue qui est sans nul doute un hommage à la femme et à l'amour semble distiller avec force une magnifique ode au désir. Désir de séduction, de relations sexuelles, de protection, d’affection, de reconnaissance. Quelles que soient ses formes, ce désir qui s’impose ici, explose. Un désir dans toutes ses acceptions, celles qui conduisent à sa pleine satisfaction, celles donc qui conduisent au plaisir. Le plaisir d’amour.

Il y a tout ça bien sûr dans ce seul-en-scène détonant mais il y a aussi, et peut-être surtout, une passion partagée des beaux textes qu'un comédien souhaite vivre avec et pour le public. Entre confessions et confidences, ce récital de textes prend les atours d’une déclaration d’amour à un métier et à son public. L'émotion file tout le long, nous touche et nous rend complices.

Dans sa propre mise en scène épurée, tonique et vibrante, alternant légèreté et gravité, Jean-Pierre Bouvier habite avec la puissance de jeu qu’on lui connait, cet homme, ces personnages, son propre personnage. Il jongle d'une aisance fluide et naturelle avec la prose et la poésie, et nous ensorcelle avec ses discours enflammés faits d’envolées lyriques ardentes, de supplications désespérées, oscillant en permanence entre certitude et perplexité, entre image de soi sublimée et sentiment d’abandon. La passion de dire et de jouer illumine le plateau et répand de la joie dans l’auditoire. Le spectateur en sort augmenté, sa curiosité aiguisée et satisfaite s’est remplie de ces instants sublimes. C’est remarquable.

Un spectacle chaleureux et passionnant. Un très beau moment de théâtre d’acteurs sous la forme d’un superbe seul-en-scène. C’est une leçon de théâtre.

 

Spectacle vu le 10 mai 2025,

Frédéric Perez

 

De Jean-Philippe Arrou-Vignod.

Mise en scène et interprétation de Jean-Pierre Bouvier.

 

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