DERRIÈRE au 11 – Avignon Off

Deux personnages sur un plateau épuré. Des gestes qui hésitent, qui recommencent, qui s’interrompent. Le public happé aussitôt, des sourires d'incertitude qui devient adhésion, des regards illuminés, des rires qui fusent. Claire Laureau et Nicolas Chaigneau poursuivent leur recherche singulière sur le presque-rien, le raté, la tentative. Après Les galets au Tilleul sont plus petits qu’au Havre que nous avions adoré en 2022, Derrière est le second volet du diptyque Le Vide.

« Des situations a priori sans intérêt travaillées avec humour et minutie, leur part de sensible, d’absurde et de poétique. Avec une multitude de bricolages, et en s’appuyant sur la capacité d’imagination du spectateur, ’’Derrière’’ tente avec malice de rendre captivant un spectacle qui ne fait pourtant qu’échouer. Et de sublimer la tragédie, très relative, de l’échec. »

Ce nouvel opus semble vouloir brouiller à nouveau les frontières entre le sensé, la logique et la dérive poétique, en proposant une forme plus resserrée mais tout aussi drôle, libre et intensément humaine. Un manifeste ludique aux gloires minuscules de l’échec, Derrière s’attache à ce qui se passe en dehors du champ, à côté de l’action. Il ne s’agit plus d’expliquer, mais de laisser surgir. Ce sont des situations dépeintes au minimum, des micro-récits qui échappent à toute dramaturgie classique. Et pourtant, on est captivé.

Le spectacle repose sur une écriture de plateau ciselée. Chaque geste, chaque silence, chaque interaction semble naître de l’instant, mais tout est précisément composé, avec une technicité redoutablement efficace et fluide. Une technicité qui au-delà des expressions théâtrales et dansées, impeccables, nous surprend par l'originalité. Comme ces séquences entières jouées en play-back ou sans son, parfaitement calées au cordeau.

On rit beaucoup. Parfois d’un simple regard, d’un contretemps, d’un geste sans finalité ou d'une situation complètement improbable mais qui est là, insolente et ravageuse de drôlerie ou de poésie, voire des deux mêlées. Mais par-dessus le comique affleure toujours une forme d’illusion. Un léger vertige face à ce qui ne tient plus tout à fait debout.

On reconnaît là le savoir-faire du duo. Une capacité à transposer l’invisible, à faire du temps un partenaire de jeu. Ce n’est pas un théâtre de l’événement, mais un théâtre du glissement, du déraillement. Une chaise peut devenir sujet de fiction ou un simple décalage, une énigme poétique. Et tout cela repose sur une confiance indéfectible et revendiquée dans l’imaginaire du spectateur. Rien n'est donné, tout est suggéré. L'ensemble paraît fragilement instable et c’est dans cette instabilité que réside la beauté du doute, de l’hésitation, de la tentative sans fin.

Ce spectacle cherche à essayer. Il nous rappelle que ce qui se joue à côté, ce qui échoue, ce qui bifurque, peut être le plus vivant. Qu’il y a dans l’imperfection une forme d’éclat. C'est un hommage joyeux aux petites défaites. Un spectacle qui rate tout avec une telle grâce qu’il finit par tout réussir.

Les rires abondent, le public devient de plus en plus complice jusqu'à participer pleinement en répondant aux interpellations des artistes, notamment dans cette séquence vers la fin, totalement délirante, façon rappel d'un concert pop.

Nous sortons de la salle repus de plaisir, le sourire aux lèvres. Un moment de fête poétique, drôle et plein de charme. Une superbe prestation saluée par une standing ovation. Je conseille vivement ce spectacle surprenant et captivant.

Spectacle vu le 16 juillet 2025

Frédéric Perez

Conception et interprétation de Nicolas Chaigneau et Claire Laureau. Collaboration artistique d’Aurore Di Bianco et Marie Rual. Création lumière de Valérie Sigward.