LA HONTE au théâtre des Béliers – Avignon Off

Une pièce singulière où la parole naît du frottement entre la douleur, la nécessité et la dérision. Du théâtre de l’intime qui explose, ne s’excusant pas d’exister et qui avance à découvert, grinçant et brutal, porté par deux interprètes à l'engagement total, furieusement piquantes de drôlerie.

« De la salade entre les dents au passé colonial du grand-père, tout le monde (ou presque) est éclaboussé par la honte. Considérant qu'elle est un fléau pour l'humanité, deux expertes décident de l'éradiquer lors d'une cérémonie sans tabou à visée universelle et cathartique. Jusqu'à quel degré de ridicule sont-elles prêtes à s'engager ? »

Le sujet est limpide : La honte ! Cette émotion tenace, sournoise et souvent tue, est ici explorée dans sa pluralité, sa complexité et sa violence dans les figures des plus outrancières. Le spectacle ne cherche ni à l’expliquer, ni à l’illustrer. Il l’incarne, la donne à voir et à entendre dans toutes ses strates. Il s’agit d’un inventaire morcelé, kaléidoscopique, fait de témoignages réels ou fictionnels, de silences éloquents volontairement gênants et d'une progression assumée dans la provocation.

La parole se fraie un chemin à travers les corps, les regards, la lumière, les ruptures de rythme et parsème tout le long un rire insolent. Un rire précis, discret, parfois inattendu. Nous sommes dans du théâtre aride façon "agitprop" qui laisse émerger l’humour là où on ne l’attend pas et qui répand une gêne partagée dans nombre de décalages de ton, d'anecdotes absurdisées, de situations si vraisemblables qu’il faut bien qu'elles deviennent comiques pour les accepter.

Loin de tout didactisme, la mise en scène, fruit d’une collaboration subtile avec Leïla Gaudin et Lucie Valon, choisit l’épure. Un espace à la fois brut et mouvant qui sera vite submergé par... (non, on ne le dira pas ici), où les deux interprètes évoluent avec une grande liberté.

Les comédiennes Léa Roblot et Élise Roth dépotent. Leur présence scénique est incarnée. Elles ne jouent pas la honte, elles l'habitent, la convoquent, l'affrontent et s’en moquent, avec la distance que permet le théâtre. L'une dans une énergie de tension contenue, l'autre dans une forme de douceur piquante. Ensemble, elles forment un duo d'une redoutable complémentarité, entre fragilité assumée et force de résistance. Ces deux-là, elles ont été élevées dans des happenings et des performances désinhibés, de la lignée d'Augusto Boal ou de Dario Fo et Franca Rame. Autrement sinon, ce n'est pas possible. Chapeau bas pour l'audace et l'abattage, mesdemoiselles, un fichu beau travail !

Un spectacle cru et cruel qui fait théâtre de ce qui nous fait taire. On y entend les voix de toutes celles et ceux qui, un jour, ont eu honte sans savoir pourquoi, ou sans pouvoir le dire. Un spectacle très original et incisif traversé par un humour ravageur.

Spectacle vu le 19 juillet 2025

Frédéric Perez

Conception, écriture et interprétation de Léa Roblot et Élise Roth. Collaboration à l’écriture de Mickaël Délis. Complicité artistique de Lucie Valon et Leïla Gaudin. Création lumières de Fabrice Peineau.