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Nous voici plongés dans un Texas moite, collant, presque poisseux, où même l’air semble transpirer la bêtise et la bière tiède. Killer Joe débarque comme un uppercut théâtral. Brutal, drôle et provoquant jusqu’à l’inconfort. Tracy Letts, dramaturge, scénariste et acteur américain contemporain, signe une comédie noire adaptée par Patrice Costa et Sophie Parel. Une comédie noire façon thriller où la radicalité de l’énonciation et de l’exposition danse avec une violence têtue un tango infernal. Un spectacle à l’originalité marquée, déroutante et joyeusement malsaine.

Chris, jeune paumé criblé de dettes, engage un flic tueur à gages pour supprimer sa mère et empocher l’assurance-vie. Rien que ça. Et dans cette folie furieuse, une famille disloquée à la bizarrerie crasse de paumés et de malades en goguette se débat, se trahit et s’accroche à tout rocher qui passe à leur dérive.

Au cœur de cette furie, Tracy Letts gratte sous le vernis de la respectabilité pour révéler les fractures d’une Amérique qui s’invente des rêves pour mieux les piétiner. Comme un laboratoire du désespoir ordinaire, surgissent des personnages en bout de course, des liens familiaux explosés, une société où tout se vend, même la mort. Mais Letts ne juge jamais. Il observe, avec un humour acide et une tendresse masquée. Sous la saleté et la bêtise, il déniche une naïveté désespérée, celle de gens qui croient encore à une échappatoire, aussi sordide soit-elle. Ce mélange d’ironie et de compassion donne à la pièce sa puissance paradoxale. Une brutalité habitée, presque poétique, où une forme d’onirisme vient tâter du cauchemar.

Patrice Costa et Sophie Parel ont choisi d’adapter cette pièce pour la première fois en France. Un pari franchement casse-gueule, tenu avec un superbe aplomb. Il fallait du cran pour se frotter à un texte aussi cru, naviguant entre le sordide et le grotesque sans jamais s’excuser. Et surtout une équipe qui ose, sans filtre ni fioriture. Pari réussi. La mise en scène de Patrice Costa, nerveuse et resserrée, va droit au but. Pas d’artifice, pas de faux-semblant. On avance dans la boue avec les personnages, et c’est précisément ce qui rend le spectacle captivant.

Rod Paradot incarne Chris avec une fièvre presque animale. Chaque geste semble jaillir d’un instinct brut. Benoît Solès, (que nous retrouvons avec plaisir, dans un emploi inattendu) hypnotise en Joe tueur à gages, calme inquiétant et sourire qui gèle plus sûrement qu’un revolver. Autour d’eux, Pauline Lefèvre, Carla Muys et Olivier Sitruk forment un trio d’humanité cabossée, chacun avec son éclat de vérité. L’ensemble respire la sincérité, l’engagement total. On sent les comédiens à vif, pleinement dans le risque, jamais dans la démonstration.

L’ambiance devient un personnage à part entière. Les lumières cinglent, les silences pèsent, la musique de la guitare électrique jouée en direct parmi les comédiens. La tension monte sans répit. L’humour noir se faufile partout, comme un démon hilare. Le public rit, parfois malgré lui, avant de se crisper aussitôt. C’est trash, mais toujours précis. L’horreur s’invite sans complaisance, avec une ironie grinçante qui fait de Killer Joe un objet radical, presque punk dans son rapport au théâtre.

Le courage de l’équipe est remarquable. Monter Killer Joe à Paris, c’est affronter un texte culte et ses zones d’ombre, accepter de montrer la bêtise, la cruauté et la misère humaine sans détour. C’est choisir la vérité du plateau plutôt que la joliesse du rendu.

Ce spectacle ne cherche pas à plaire, il cherche à exister. Il mord, irrite, désarçonne. Et il le fait avec une honnêteté totale. Un théâtre de chair, de nerfs et de sueur. Une claque, mais une claque revigorante. On en sort secoué, fasciné, admiratif devant tant d’audace. Un moment de liberté artistique, aussi culotté que maîtrisé.

Spectacle du 26 octobre 2025

Frédéric Perez

 

Une pièce de Tracy Letts. Adaptation Patrice Costa Et Sophie Parel, avec la participation musicale de Neil Chablaoui. Mise en scène Patrice Costa. Collaboration Artistique Sophie Nicollas. Lumière Denis Koransky. Scénographie Georges Vauraz. Costumes Mélisande de Serres. Chorégraphies Sophie Mayer. Musiques Yann Coste.

Avec Pauline Lefèvre, Carla Muys, Rod Paradot, Olivier Sitruk et  Benoit Solès.

 

Photos © DR
Photos © DR
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