
T.C.H.E.K.H.O.V.
ou
Traversée Charmante avec Haltes Exploratoires de la Kyrielle d’Humeurs d’une Œuvre Vécue
Un vent d’esprit et d’humanité souffle sur le Ranelagh. T.C.H.E.K.O.V. installe d’emblée une connivence délicieuse entre le plateau et la salle, dans un tempo vivant qui fait circuler l’énergie entre les comédiennes et leurs scènes. Le public suit une partition où l’humour et la mélancolie se répondent comme des échos familiers. Cela se joue souvent dans la simplicité d’un mouvement, d’un regard, d’une pause. Le moindre silence garde une densité tranquille.
" Trois comédiennes et un musicien racontent la vie de Tchekhov, de l’étudiant au dramaturge, en passant par l’homme malade et l’humaniste. Les personnages se succèdent avec fluidité, les silences et les regards prennent leur place et le rythme respire, mêlant humour et mélancolie avec naturel."
L’écriture dirigée par Étienne Luneau, qui assure la mise en scène également, choisit la déconstruction comme moteur. Le spectacle déroule la vie et l’œuvre du dramaturge sous la forme d’un puzzle où les scènes se succèdent sans ligne chronologique stricte, donnant à voir des fragments qui se complètent par résonance.
Cette forme donne au spectateur le soin de recomposer les textes emblématiques de Tchekhov. Comme on assemble un jeu de construction retrouvé, apparaissent alors des moments de comédie et des instants plus vulnérables. On se surprend à se rappeler des textes originaux d'où sont puisés les éléments joués, puis on finit par ne plus chercher. Le souvenir est remplacé par l’instant, tout le charme et l’esprit de Tchekhov s’y trouvent et nous enveloppent aisément. L’équilibre entre la fantaisie et l’émotion fonctionne.
Une dérision franche et subtile s’invite dans l’écriture, allant jusqu’à rire des nombreuses traversées du quatrième mur. C’est bien vu et bien fait.
La scénographie va à l’essentiel. Quelques éléments de décor, des lumières mesurées qui dessinent des cadres subtils pour chaque scène. Cette simplicité laisse toute la place au jeu des comédiennes et à la musique, offrant au spectateur une atmosphère intime sans jamais alourdir le spectacle.
Un spectacle qui se présente aussi comme du théâtre dans le théâtre, sublimant la capacité de la scène à mêler sérieux et légèreté, à rendre visibles des contradictions humaines et à transformer le pathétique en sourire partagé. Les différents épisodes, parfois montés en mode pastiche, font sentir la modernité du regard porté sur le dramaturge et démontrent que Tchekhov continue d’inspirer des formes contemporaines vivantes. Là aussi, c’est bien vu et bien fait.
Les comédiennes Odile Ernoult, Clémentine Lebocey et Elsa Robinne partagent un même plaisir de jeu, vif et généreux, où la précision n’exclut jamais la malice. Leur interprétation souple et inventive donne au texte une vitalité constante. Elles forment un ensemble complice, mobile et plein d’esprit, capable de passer d’un ton à l’autre avec une aisance réjouissante et tiennent le projet avec une précision joyeuse. Elles naviguent entre les personnages, les accents et les registres avec une agilité qui provoque le rire, parfois un rire ému. Les dialogues gagnent en vivacité grâce à ce jeu polymorphe qui refuse la lourdeur. Les scènes d’ensemble se transforment en petites machines comiques parfaitement huilées, tandis que les passages plus calmes laissent apparaître avec tendresse les failles humaines.
Joseph Robinne au clavier accompagne le trio avec justesse et nuance. La musique s’invite avec discrétion sur le plateau, relie les séquences et accompagne l’émotion sans la surligner. Elle prolonge le jeu et devient complice du récit, oscillant entre contrepoint, humeur et respiration partagée avec les comédiennes.
Un spectacle qui réussit l’exploit d’être exigeant sans se prendre au sérieux, chaleureux sans confort ostensible. Un moment où l’esprit et l’émotion s’entrelacent avec naturel, Un spectacle très original à retenir.
Spectacle du 10 octobre 2025
Frédéric Perez
Un spectacle de la compagnie Grand Tigre. D’après la vie et l’œuvre d’Anton Tchekhov. Direction de l’écriture et mise en scène. Musique de Joseph Robinne. Lumières de Emilie Nguyen. Costumes et décors d’Anne Lacroix.
Avec Odile Ernoult, Clémentine Lebocey, Elsa Robinne et Joseph Robinne.
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