Le Roi Lear de William Shakespeare. Mise en scène et adaptation Mathieu Coblentz

Éblouissant, Saisissant, Tragique.

Dans la salle de répétition du Théâtre du Soleil, où il a fait ses premières armes auprès d’Ariane Mnouchkine, Mathieu Coblentz signe une adaptation et une mise en scène du Roi Lear minutieusement orchestrée, percutante, à la fois baroque et contemporaine, d’une esthétique éblouissante.

Le roi Lear, père tyrannique se voyant vieillir, décide de partager son royaume entre ses trois filles : Goneril, Régane et Cordelia. Il leur demande de dire combien elles l’aiment. Les deux aînées le flattent sans sincérité. Cordelia, honnête, répond qu’elle l’aime simplement, comme une fille doit aimer son père. Lear, aveuglé par l’orgueil, la rejette et donne tout aux deux autres, déclenchant ainsi l’effondrement du pouvoir. La pièce, dès son ouverture, plonge le spectateur dans un drame familial violent et profond.

Dès l’entrée en scène, le regard se perd dans la beauté saisissante du tableau. Dans un halo de lumière, le roi Lear se dresse, majestueux, entouré de ses filles. Leurs robes somptueuses captent la lumière, mêlant soies chatoyantes, brocards dorés et reflets de velours..

Les costumes de Patrick Cavalié créent à la fois un univers baroque, un peu fou, et élégant : un ensemble riche et singulier où se croisent fourrures, tissus usés et éclats de cuir. Les lumières, tour à tour froides ou ardentes, sculptent l’espace et les visages, transformant chaque scène en une peinture vivante, où s’entrelacent poésie, beauté et tragédie du drame. La scénographie sur trois niveaux est ingénieuse et délimite différents espaces, créant une intimité avec les personnages. La nouvelle traduction d’Emmanuel Suarez, en supprimant certains personnages, renforce la présence et la puissance des femmes.

Malgré un temps de répétition restreint, Florent Chapellière, Maud Gentien, Julien Large, Laure Pagès, Camille Voitellier, Florian Westerhoff et Jo Zeugma, comédiens, chanteurs et musiciens, tous talentueux, glissent avec brio d’un rôle à l’autre, ils nous font vibrer,  nous captivent, et nous enchantent .

Le roi Lear nous bouleverse. Sa voix grave, ses silences, son regard disent tout. La folie ne se joue pas, elle se vit, brute et implacable. Rage et tendresse s’y mêlent, dans une humanité désarmante.  Goneril et Régane, froides et ardentes à la fois, incarnent l’ambition et la cruauté. Cordélia, lumineuse, porte l’amour rejeté ; son silence crie plus fort que les mots. Le bouffon nous ravit par son talent, drôle et touchant, captivant par sa présence et sa gestuelle. Il rit de tout, même de la mort. Triste clown, il voit clair avant tous les autres. Les acrobaties d’Edgar Kent, qui fuit la colère de son père et se transforme peu à peu en Tom, être errant et fragile, nous époustouflent.

Cette version moderne du Roi Lear par le Théâtre Amer revisite avec force les grands thèmes du chaos, de la cécité morale et de la chute des puissants. Portée par une esthétique glam-rock et des touches contemporaines, la mise en scène fait écho à notre monde d’aujourd’hui. Elle interroge la folie du pouvoir, les trahisons familiales et la perte de sens qui précipite les hommes vers leur chute.

Un beau moment de théâtre porté par la puissance de ses acteurs, l’esthétique et la richesse de sa mise en scène.

Claudine Arrazat.

Jeu et musique Florent Chapellière, Maud Gentien, Julien Large, Laure Pagès, Camille Voitellier, Florian Westerhoff, Jo Zeugma

Scénographie Vincent Lefèvre / Traduction Emmanuel Suarez / Création des costumes Patrick Cavalié / Régie sonore Simon Denis / Régie polyvalente Julien Crépin 

Production Compagnie Théâtre Amer