Les oubliés du bonheur, bannis du confort et de la décence, humiliés de voir sans toucher, de sentir sans gouter… Que font-ils de leurs rancœurs d’opprimés, de cette ignoble réalité qui les prive, les frustre et les punit de n’être qu’eux-mêmes, ces nouveaux Tuchins ou Croquants d’un autre siècle ? Ils courbent l’échine ? Ils plient sous le joug des riches et des nantis ? Ils abandonnent ?...
Non ! Chez Jean-Luc Lagarce, ils se révoltent, ils s’invitent à la fête, à cette Noce « ... comme si vous y étiez, disaient les affiches. Mais nous n’y étions pas ! ».
NOCE est écrite en 1982. Cette pièce rebondit sur les sentiments d’injustice sociale, d’insoumission au pouvoir et sur les velléités de révolte qui naissent et grandissent dans les rangs des insurgés de l’ordre établi, oppresseur et puissant.
Ce récit fantastique aux contours métaphoriques et farcesques fait mouche par ses situations grinçantes devenant peu à peu délirantes pour finir dans une forme d’apothéose apocalyptique. Les répliques cinglantes, aux allures d’ostinato propres à l’auteur, nous impressionnent tant elles se rapprochent de ce qu’il nous semble être une sorte de défouloir, libérateur des pulsions refoulées des cinq personnages.
Nous nous laissons prendre au jeu et nous restons cois devant cette folle frénésie, devant ce délire de révolte, son outrance et son jusqu’au boutisme éperdu conduisant au chaos. La révolution des insoumis, des privés-de-tout gagne du terrain progressivement. Se terminera-t-elle en un retournement désastreux où les nantis chassés seront remplacés par leurs chasseurs ?
La mise en scène de Pierre Notte renforce la dimension fantasmagorique et l’incongruité hilarante de la pièce par des touches de mise en abyme. Le savoureux jeu dedans/dehors où les comédiens interpellent la régie-son pour baisser ou arrêter la musique ; la chanson de l’arc en ciel chantée régulièrement en off dont on garde un essai merveilleusement loupé ; les indications de jeux données entre les comédiens eux-mêmes… Autant de subterfuges qui nous rappellent que nous sommes au théâtre et que tout ceci n’est qu’une représentation de la vie. Par ailleurs, il imprime un tempo à l’ensemble qui développe l’argument dans un crescendo foldingue où il nous faut rester accrochés à nos bancs pour tout suivre, parmi les rires, les objets qui volent et les comédiens qui explosent.
Une distribution déchainée qui dévaste tout sur son passage et qui nous fait sourire puis rire tout en nous maintenant spectateurs attentifs et incrédules de ce que nous voyons.
Il y a un bon peu d’audace, beaucoup de drôlerie caustique et croustillante et pas mal de messages dans ce spectacle riche et surprenant. À voir sans hésiter pour découvrir ce texte superbe, savourer sa mise en vie et les jeux incroyablement débridés des comédiens.
De Jean-Luc Lagarce. Mise en scène de Pierre Notte, assisté par Amandine Sroussi. Lumière d’Aron Olah. Avec Grégory Barco, Bertrand Degrémond, Eve Herszfeld, Amandine Sroussi, Paola Valentin.
Du mardi au samedi à 21h00 - 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris 6ème - 01 42 22 66 87 - www.lucernaire.fr