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Un spectacle sombre et drôle, douloureux et léger où cauchemar, réalité et fiction se chahutent au gré de nos compréhensions, de nos imaginaires et de nos inconscients qui sans aucun doute se trouvent interpellés ici avec une manifeste envie de nous bousculer.

Les paradoxes du texte nous interpellent avec ironie, nous interrogent avec acuité et nous séduisent comme le plaisir de s'apercevoir, au réveil d’un rêve troublant, qu’il ne s’agit que d’un rêve. Et pourtant, comme ce rêve est révélateur de nos peurs, de nos doutes, de nos attentes et de nos arrangements raisonnables avec la réalité.

Paul Sneijder est blessé, rompu à jamais, meurtri pour toujours. Il est la victime rescapée d’un accident d’ascenseur. Sa fille en est morte. Il ne peut s’en remettre. Depuis son propre réveil du coma, il a changé. Il ne voit plus le monde comme avant ni les gens comme ils étaient. Son rapport au réel est faussé. Son refuge est son imaginaire dans lequel il construit, il élabore, il réinvente la normalité, ne pouvant plus supporter celle qu’on lui impose de retrouver.

Le chagrin, la culpabilité, le dégout pour sa deuxième famille qui a rejeté sa fille de son vivant et qui l’agresse au quotidien, l’épuisent, rongent ses forces et ses désirs. Il faut tout changer, il change tout.

De sa recherche compulsive sur la raison de la chute de cet ascenseur, en passant par ce job de promeneur de chien qu’il exerce un temps jusqu’à la rencontre avec cet avocat de la société des ascenseurs, il vogue et vient, il divague et joue de lui-même pour se jouer des autres. Enfermé du dehors par les autres, prisonnier du dedans par sa douce folie qui s’installe peu à peu comme un contrepoids de la réalité, quel sera son devenir ?

L’adaptation du roman homonyme de Jean-Paul Dubois, paru en 2011, est réalisée par Didier Bezace qui met en scène la pièce sans trahir le roman, sans forcer le jugement et en choisissant un parti-pris qui nous semble privilégier l’empathie avec Sneijder, ses émotions et son regard sur la réalité.

Didier Bezace interprète l’avocat de la société responsable de l’accident, avec la clairvoyance d’un homme qui semble être le seul à comprendre et tenter de protéger Sneijder, portant un regard acide et cruel sur le monde. Il donne à son personnage l’humanité qui manque tant aux autres, attachant autant d’importance à un arbre chinois qu’aux affaires qui l'occupent. Il étonne, il rassure.

Sylvie Debrun joue la dernière épouse avec le désarroi et la vacherie d’une femme face à ce mari que se liquéfie, qui lui échappe. Elle nous la montre plus emprunte de quête de puissance que de compassion et d’amour. Elle sait nous faire détester cette femme avec simplicité et justesse.

Morgane Fourcault joue la fille. Elle déborde d’affection pour ce père perdu pour les autres mais pas pour elle. Elle se fait aimer autant que nous pouvons aimer son personnage.

Thierry Gibault nous présente un jeune patron goguenard et sympathique, apportant une touche de franchise et de diversion dans ce monde irréel tant il est réaliste, qui entoure Sneijder. La touche rieuse de l’histoire.

Pierre Arditi resplendit. Il incarne Paul Sneijder comme seul un monstre sacré du théâtre peut le faire et il le fait ! De mains de maître ! Du grandiose !... Nous sommes subjugués par son jeu, sa permanente crédibilité, le trouble dont il sait nous envelopper comme les traits d’humour caustique qu’il ne loupe jamais. Du grand art.

Un spectacle captivant et troublant, merveilleusement bien joué. Incontournable.

 

D'après le roman de Jean-Paul DUBOIS. Adaptation et mise en scène de Didier BEZACE. Avec Pierre ARDITI, Didier BEZACE, Sylvie DEBRUN, Morgane FOURCAULT et Thierry GIBAULT.

Du mardi au samedi à 21h00 et le samedi à 18h00, le dimanche à 15h00 – 1 place Charles Dullin, Paris 18ème – 01.46.06.49.24 - www.theatre-atelier.com

- Photo © Nathalie Hervieux/Bestimage -

- Photo © Nathalie Hervieux/Bestimage -

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