Voir un spectacle de clowns, c’est comme ouvrir un livre d’images que l’on sait là, pas loin, posé sur la table du présent ou rangé dans la bibliothèque de nos souvenirs. On pense deviner à l’avance ce que l’on va voir et on se fait surprendre parfois, pas toujours. Cette fois-ci est un jour heureux, un moment faste, un temps suspendu. Une bonne et belle rencontre.
Nous entrons dans la salle et déjà sur le plateau, Michelle la clowne marche de long en large, un tabouret à la main. De toute évidence, elle cherche un endroit où le poser. Nous partons aussitôt à ses côtés, interrogatifs mais confiants et impatients, pour une ballade poétique et fantaisiste, parsemée d’incongruités drôles et d’émotions diverses devant la crédulité fragile et naïve que nous allons découvrir.
Qu’éclaire-t-elle avec cette lumière qu’elle découvre par hasard et avec laquelle elle jouera de ses doutes ?
Que veut-elle nous montrer ?
Elle commente ses découvertes par gromelot ou mots-phrases dans une sorte de pantomime gaguesque faite de postures mêlant essais et erreurs, rentrant dans des colères hilarantes et touchantes, vivant ses dépits en les contournant et ses joies avec une fougue quasi enfantine. Tout un jeu savant et délicieux avec ces petits riens qu’elle croise sans cesse et qui lui feront rencontrer les autres et parmi eux, elle-même.
Il y a de la tendresse dans son regard, de la maladresse dans ses attitudes. Ce voyage en clownerie est doux et joyeux, prégnant et surprenant. Et toujours, derrière la tristesse devant la résistance des objets ou de son propre corps, un voyage délibérément gai.
La Clowne Michèle s’inscrit dans la mouvance des clowns contemporains qui se construit en rupture mais également dans la lignée des clowns de cirque traditionnel, alternant le vrai et le faux, le véritable et le possible. Et ajoutant une dimension poétique marquée, des silences chargés, des suggestions sans traits qui, s’ajoutant à la vulnérabilité humaine qu’elle expose, nous conduit à réfléchir aussi, comme la clowne le fait sans le souligner.
Ces apports aux allures philosophiques, conjugués à la poésie des images jouées, et traversés par la quête du rire, emportent le public, jeune et vieux, dans une rêverie éveillée et bienfaisante.
D’une technicité redoutable de précision, Estelle Bordaçarre, la Clowne Michelle, nous offre un spectacle délicieux, rare et mémorable. Nous en sortons, la tête dans les nuages, le sourire dans les pensées, baignés de frissons de plaisir. Je recommande vivement.
- Photo : Capture d'écran du site lelieudelautre.com -
Mise en scène et interprétation d’Estelle Bordaçarre. Assistance à la mise en scène et réalisation vidéo d’Anne-Lise Maurice. Création des lumières de Jaco Bidermann. Création du son et régie son-lumière d’Eve Harpe.
55, avenue Laplace - 94110 ARCUEIL
01.49.12.03.29 – www.lelieudelautre.com
Pour suivre le travail d’Estelle Bordaçarre :
http://estellebordacarre.com/rien-solo-pour-clown/