Un spectacle drôle et cynique qui nous fait rire. Parce qu’il le vaut bien et parce qu’il est fougueusement dédié aux lumières joyeuses de l’oubli.
Une satire tragique et délurée d’une époque, qui nous amuse franchement. Parce qu’il le faut bien. Se souvenir de cette mémoire sans le plaisir de la dérision dans le divertissement serait trop lourd à supporter, et sans doute à rebrousse-poil de la vérité d’alors.
Rire et chanter, sourire et frapper des mains pour cacher le trouble et les émotions, les pleurs et les rages que nous ne pouvons pas ne pas ressentir.
Un cabaret à Berlin dans les années 1930, une histoire d’un amour maternel empêché, volé peut-être par les conditions de vie de Kirsten, cette femme qui n’est pas seulement une ancienne prostituée au passé trouble et cruel et qui renie son fils homosexuel tout en l’exploitant dans son cabaret.
Kristen est surtout un de ces nombreux exemples symptomatiques sous la République de Weimar, ravagée par la désillusion d’une démocratie promise, dans un Berlin où tout devient progressivement sous contrôle mais où tout ira jusqu’au bout du possible pour oublier la peur dans la joie, l’horreur autoritaire dans la transgression, se vautrant avec délice dans la décadence.
Il n’était pas bon alors d’être juif, communiste ou homosexuel. Le seul moyen de survivre était de se cacher, parfois sous les travestissements. Les cabarets allemands, notamment à Berlin, le permirent, alliant lieu de plaisir et lieu de résistance.
La troupe nous fait vivre le récit des dernières heures de ce cabaret transgressif dans la joie la plus débridée possible, parsemant le spectacle de numéros étincelants composés de chansons anciennes ou contemporaines, d’airs célèbres devenus historiques, de danses, de textes et de scénettes. L’ensemble se déroulant en parallèle des propos de Kristen qui chante aussi et qui raconte son histoire mêlée à celle du cabaret. La jouissance du plaisir de l’instant côtoie tout le long la souffrance de cette femme déchue, éperdue de rancœurs, aigrie par sa vie et son implacable destin qu'elle semble construire pour se détruire tout à fait.
Nous passons sans cesse, au fil des numéros, des rires francs et salvateurs aux émotions troublées et troublantes. C’est captivant, plaisant et émouvant à la fois.
La distribution nous réjouit. Marisa Berenson est parfaite en femme rompue, bourrée de hargne, diva déchue et meurtrie. Sébastián Galeota, le fils Viktor, joue, chante et danse avec un engagement total et convaincant. Jacques Verzier* joue et chante magnifiquement, ses vibrations deviennent les nôtres tout comme Stéphane Corbin* qui au piano et au jeu est aussi à l’aise que cynique et émouvant. Loïc Olivier* aux percussions et Victor Rosi au cornet ne sont pas en reste et complètent une fichue bonne équipe.
Un Berlin Kabarett des plus agréables, intelligent, touchant et spectaculaire. Un bon et joyeux spectacle que je recommande vivement.
Spectacle vu le 3 juin 2018,
Frédéric Perez
De Stéphan Druet. Musiques de Kurt Weill, Stéphane Corbin, Friedrich Hollaender, Fred Raymund, Dajos Béla et Henri Christiné. Chorégraphies de Alma de Villalobos. Costumes de Denis Evrard. Lumières de Christelle Toussine. Direction vocale de Vincent Heden. Arrangements musicaux de Anne-Sophie Versnaeyen.
Avec Marisa Berenson, Stéphane Corbin ou Simon Legendre, Sebastiàn Galeota, Jacques Verzier ou Olivier Breitman, Loïc Olivier ou Hugo Chassaniol et Victor Rosi.
*ce jour-là.
Du jeudi au samedi à 21h00 et le dimanche à 17h30
75 boulevard du Montparnasse, Paris 6ème
01.45.44.50.21 www.theatredepoche-montparnasse.com