Le théâtre de Edward Bond, dramaturge anglais contemporain, ne laisse pas les spectateurs au bord de la scène, parmi un public silencieux et attentif, impatients ou indifférents à ce qui se joue devant eux. Ce théâtre-là relève du théâtre politique en ce qu’il est subversif pour l’imaginaire de celles et ceux qui assistent à la fiction qui se déroule sur le plateau, à deux pas, à portée d’eux.
En fait, nous pourrions dire que la fiction est écrite comme si l’auteur voulait qu’elle se déroule en eux. Qu’elle vienne percuter les résistances, les curiosités ou les attentes. Entre désir et nécessité, entre besoin et rejet de la réalité telle qu’elle se présente à nous, en nous.
Chez Bond, et la pièce LE BORD en est une illustration notable, la dramaturgie du quotidien ou du proche conduit à s’interroger sur l’humanité qu’elle restitue par l’histoire et à ce qu’elle déclenche de questions et de sensations, de souvenirs et d’associations dans notre raison et dans notre émotion.
La pièce se déroule de nos jours dans une ville, dans une rue et dans l’appartement du jeune Ronald et de sa mère Sally. Dans la rue, Ronald rentre chez lui après avoir fêter avec ses amis son départ au bout du monde. Car il part demain Ron.
Il trébuche sur le corps d’un vieil ivrogne, tente de l’aider à se relever en vain.
« Redresse-toi grand-père. Moi demain je pars »
« Peux pas trainer avec toi. Tard. Morfler quand je rentre… »
Et puisque le cœur du vieux bat encore, le jeune reprend son chemin.
Chez lui, sa mère l’attend. Sally a préparé un repas, le dernier repas de famille. Car il part demain Ron.
« Manger tard m’empêche de dormir »
« Si t’avais dit je me serais pas foulée pour rien »
« On va s’engueuler ? »
« Seulement si tu commences »
La soirée ne va pas vraiment se terminer ainsi. C’est la veille du départ au bout du monde ! Car il part demain Ron. Ronald va dans sa chambre et… le vieil homme sonne à la porte.
Comme une implosion dans le récit, les repères fictionnels semblent bouger alors. Le prévu sera-t-il vécu ? Quel est le vrai du faux dans cette succession d’instants qui se bousculent ?
La difficulté de la parole intergénérationnelle ; la fusion toxique d’un adolescent avec sa mère dans une famille monoparentale et la difficulté du deuil nécessaire, cher à Dolto, de l’adolescent en crise ; la misère sociale qui se conjugue à une misère affective ; le bien du respectable opposé au mal du bluff. Autant de sujets, de facettes, de questions sur l’humanité de ces trois personnes qui pourraient être nous, qui peut-être le sont un peu dans nos oublis ou dans nos fantasmes.
Un magnifique texte de Edward Bond, simple, direct et strié, aux accents violents et aux évanescences poétiques. Une superbe mise en scène de Jérôme Hankins, donnant toute la place aux mots dits, sans appui, juste ce qu’il faut pour qu’ils nous traversent. Des jeux engagés et précis de Françoise Gazio, Yves Gourvil et Hermès Landu.
Un spectacle percutant et sensible que cette pièce de Bond, auteur incontournable du théâtre de dénonciation des outrances sociales, à l’humanité et à la vocation éducative revendiquées. Un temps de théâtre passionnant et rare que je recommande vivement.
Spectacle vu le 13 juin 2018,
Frédéric Perez
Une pièce de Edward Bond. Traduction (éditions l'Arche Editeur) et mise en scène de Jérôme Hankins. Assistanat à la mise en scène de Aurore Kahan. Scénographie et accessoires de Alexandrine Rollin. Costumes de Hélène Falé. Création lumières de Anne Vaglio.
Avec Françoise Gazio, Yves Gourvil et Hermès Landu.
Jusqu’au 30 juin
Du lundi au vendredi à 20h30 et le samedi 16h00 et à 20h30
Cartoucherie, route du Champ de Manoeuvre, Paris 12ème
01.48.08.39.74 www.epeedebois.com