Une leçon de théâtre sur le théâtre que ce spectacle soigné, léché et vibrant, louant toute la noblesse de cet art. De l’adaptation aux mises en espace et en jeu réalisées par Alain Timár jusqu’à l’interprétation magistrale et impressionnante de Charles Gonzalès, voici un moment rare.
L’adaptation de textes de Dostoïevski et le choix d’extraits de scènes du répertoire de Shakespeare nous offrent d’éblouissants passages de la vie du concierge Fédor, éperdument passionné par le théâtre. Une vie traversée de renoncements haineux de ses espoirs impossibles et de sa solitude arrachée à la vie qu’il cache au regard des autres. Son refuge dans la folie n’a d’égal que son amour du théâtre.
Blessé par les mauvais hasards qui ont jalonné son passé et par le manque de reconnaissance, meurtri sans doute par la rancœur qu’il en a conçue, par une bile plus aigre que les plus acerbes insultes qui volent vers lui, Fédor surnommé Will, erre et vit en secret dans le souterrain de son bonheur, les scènes illustres, les répliques saillantes des textes qu’il vénère.
Se cacher pour se protéger, s’oublier pour s’abstraire, casser les liens qui le relient aux autres, vivre pour et dans sa passion, jusqu’où pourra-t-il marcher sur ce chemin-là ?
Ce spectacle donne à voir, à ressentir et à réfléchir ce qui compose un tel dévouement proche de l'idolâtrie pour les mots, les personnages, ces autres soi-même qui vivent tant et tant de vies, cette frustration de ne pas être acteur qui se dilue dans les rôles par effet de sublimation. Les textes choisis font mouche, nous touchent le cœur, nous hérissent la pensée.
La scénographie d’une simplicité à l’épure réfléchie est d’une redoutable efficacité. Le comédien Charles Gonzalès s’en empare avec vélocité et fluidité. Il montre une puissance dramatique remarquable, une sensibilité et une vérité de chaque instant. Son interprétation est intense et inouïe, sa présence chaleureuse, envoutante et captivante.
Un spectacle fort par son propos aux allures d’ode au théâtre et aux acteurs, lumineux et saisissant par son interprétation. À ne surtout pas manquer. Une des perles du festival à n’en pas douter.
Spectacle vu le 18 juillet 2018,
Frédéric Perez
D'après Dostoïevski et Shakespeare. Adaptation, mise en scène et scénographie de Alain Timár. Assistance à la mise en scène de So Hee Han. Création lumière de Richard Rozenbaum. Création vidéo et son de Quentin Bonami. Assistance technique et régie plateau de Éric Gil. Décor et accessoires de TDH. Costumes de Pascale Richy et Sophie Mangin.
Avec Charles Gonzalès.
- Photo © Quentin Bonami -
LES CARNETS D'UN ACTEUR au Théâtre des Halles
à 17h00 jusqu’au 29 juillet (relâche le 23 juillet)