Charlotte von Mahlsdorf, Lothar Berfelde pour l’état civil, est un travesti, une personnalité transgenre à la réputation sulfureuse dans les années 1930 à Berlin. Son histoire est une histoire vraie même si le cinéma et le théâtre s’en sont emparés pour la représenter, la figurer, la faire connaitre au plus grand nombre et par là-même la rendre proche et simple comme une remarquable et belle histoire de vie.
Charlotte la collectionneuse, l’antiquaire, la directrice d’un musée/music-hall où les travestis, les homosexuels et les lesbiennes se retrouvaient, fit de son identité et de sa vie ce qu’elle décida d’en faire et devint vite une égérie discrète, préférant l’ombre pour agir. Elle qui reste encore aujourd’hui une figure emblématique de la communauté LGBT.
Le texte de Doug Wright nous la montre redoutablement courageuse et mystérieuse jusqu’à glisser et lisser dans son parcours des périodes troublantes et des événements impressionnants, des choix énigmatiques et des secrets, des voiles discrets sur ce qui fonde sa vie privée et l’intimité de ses sentiments. Une écriture épurée de sensationnalisme ou d’expressionnisme outrancier. Juste les faits, le récit de ces faits et la sincérité du personnage dont on devine que les jours heureux se battaient pour le rester.
La mise en scène de Steve Suissa donne au spectacle une lumineuse évocation dans laquelle l’énonciation prévaut aux effets, comme un témoignage restitué simplement, comme un temps de théâtre documentaire où le spectaculaire n’est toutefois pas oublié. Propos, regards, postures, danses, lumières, accessoires… Nous sommes proches de Charlotte, « wir sind Charlotte », le temps d’un temps doux et chaleureux, brillant et captivant.
Le rôle de Charlotte et ceux de tous les personnages qui ont croisé ou bousculé sa vie sont tenus par Thierry Lopez. Magnifique et éblouissant comédien. Tout en nuances, ne laissant rien passer qui ne soit vraisemblable, semblant éviter farouchement ce qui pourrait sombrer dans le pathos, laissant nos émotions venir, nos pensées nous entreprendre. Une majestueuse et imposante Charlotte, des jeux espiègles ou forts pour les autres personnages. Une prestation remarquable d’intensité, de maîtrise et de beauté manifeste.
Une histoire à l’intérêt sensible, une mise en vie sobre et splendide à la fois, une interprétation ahurissante tant elle est belle et nous touche. Une perle théâtrale à ne pas manquer.
Spectacle vu le 18 septembre 2018,
Frédéric Perez
De Doug Wright (Prix Pulitzer 2004 du texte dramatique). Adaptation de Marianne Groves. Mise en scène de Steve Suissa assisté de Stéphanie Froeliger. Décor de Natacha Markoff. Lumières de Jacques Rouveyrollis assisté de Jessica Duclos. Costumes de Jean-Daniel Vuillermoz. Chorégraphie de Anouck Viale. Création Sonore de Maxime Richelme.
Avec Thierry Lopez.