Écrite en 1919, cette pièce de Stefan Zweig permet un parcours sinueux et riche parmi les amitiés, les plaisirs et les passions qui ont jalonnés la vie de ce très grand homme des arts et des lettres.
Combien la vie d’un écrivain se reflète dans son œuvre !
On y retrouve l’engouement de ses premiers écrits consacrés aux biographies d’illustres figures historiques, de compositeurs et d’auteurs célèbres. Le personnage de Hermann Bürstein, le biographe, se trouve de fait particulièrement bien dépeint.
On y ressent sa parfaite acuité pour la psychologie des personnalités, lui qui fut un passionné de psychanalyse, un grand ami de Freud avec qui il entretint une correspondance et dont il écrivit l’oraison funèbre.
C’est bien simple, tout ce qui relie les personnages, leurs inimitiés et leurs doutes, leurs affections et leurs amours, trouve dans cette pièce une précision et une résonance cohérente et limpide.
Comme un précis discret et élégant sur les labyrinthes de la vie qui change, nous assistons à l’édifiante explication de la légende construite et entretenue par la veuve d’un auteur prolixe et reconnu, nommé ici Karl Amadeus Franck.
Les relations de son entourage, leurs actions et les réflexions qui s’en dégagent comme l’intrigue et les rebondissements de LA LÉGENDE D’UNE VIE nous embarquent dans un voyage au cœur de l’intimité affective de gens qui s’aiment ou doivent s’aimer. Nous traversons les voiles d’un secret de famille qui empêchent de sourire au bonheur. Nous assistons aux effets d’une causalité enfouie qui ressurgit tout à coup d’une passion amoureuse incroyablement romanesque et indélébile.
Une nouvelle fois, la parole serait salvatrice, pour se dire les maux cachés et les alléger voire les absoudre peut-être. Qu’en sera-t-il ici ?
L’adaptation de Michael Stampe comme la mise en scène de Christophe Lidon centrent l’intérêt pour cette étonnante histoire sur les sentiments des personnages, l’évolution de leur regard sur l’autre, leurs prises de conscience de l’image et de l’estime de soi, la progression manifeste de leurs personnalités. C’est très bien fait, c’est efficace. La vie sociale qui les entoure est suffisamment dessinée pour comprendre le contexte des situations. Notre attention est retenue par l’humanité des personnages, leurs déroutes, leurs espoirs, leurs transformations. Nous sommes touchés.
La distribution toute entière vit et nous fait vivre cette histoire avec proximité et chaleur. Elles et ils sont excellents.
Nathalie Dessay montre avec sensibilité combien la quête de puissance de Léonore, la veuve de Franck, est un refuge pour cacher sa douleur, ses regrets aigris et sa solitude. Digne et fragile à la fois, une touchante Léonore.
Macha Méril campe Maria, l’ancienne amie, avec une émotion à fleur de peau, jouant la légèreté de la sagesse de toutes ces années passées qui n’ont pas oublié. Attachante Maria.
Gaël Giraudeau incarne Friedrich, le fils de l’illustre Franck, avec une palette d’émotions brillamment restituée. On attend de lui qu’il ressemble à son père. Il attend de lui de pouvoir exister. Un personnage complexe, une partition bien jouée.
Bernard Alane est Bürstein le biographe du défunt Franck, ami de la famille. Une magnifique interprétation dans le retrait ou la lumière de ce personnage, qu’il nous fait apprécier comme un ami qu’on aimerait connaitre.
Valentine Galey, adorable Clarissa, la fille attentive et détachée, la sœur attentionnée et compréhensive. Un rôle joué tout en délicatesse.
Une très belle pièce, une distribution convaincante et brillante. Un beau spectacle que je recommande.
Spectacle vu le 21 septembre 2018,
Frédéric Perez
De Stefan Zweig. Traduction de Jean-Yves Guillaume. Adaptation de Michael Stampe. Mise en scène de Christophe Lidon assisté de Natacha Garange. Décor de Catherine Bluwal. Costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian. Musique de Cyril Giroux. Lumières de Marie-Hélène Pinon.
Avec Bernard Alane, Natalie Dessay, Valentine Galey, Gaël Giraudeau et Macha Méril.