Un spectacle d’une beauté raffinée, explosive et merveilleuse. Thomas Ostermeier adapte et met en scène cette pièce considérée comme la dernière « vraie comédie » de Shakespeare avec un soin travaillé et une recherche esthétique élaborée. Un spectacle d’une qualité rare.
Une incroyable féérie d’images, de sons, de mots et de situations. La musique nous touche à chaque fois, les jeux nous emportent de bout en bout dans une aventure aux allures de conte. On y rit, on y est interpellé, on y frissonne de plaisirs en permanence.
Cette pièce extraordinaire de Shakespeare, sans doute écrite entre 1599 et 1601, fut jouée pour les festivités du carnaval vers 1602. Une pièce extraordinaire en plusieurs points. Elle rassemble en effet tous les ingrédients de la dramaturgie comique, chers au grand maitre anglais : La rêverie fastueuse, le ravage farcesque, le rebondissement spectaculaire, le trouble et le doute entretenus, une légèreté récurrente qui ne cache pas les moments d’émotions mais les colore sans cesse d’effets proches de l’improvisation.
Le parti pris de la mise en scène et de la scénographie pousse la farce à l’excès, la passion des sentiments à l’extrême, la poétique des propos et des actions des personnages jusqu’au bout de leurs possibilités pathétiques, burlesques, sensuelles et crues. Le trouble touche le vraisemblable, le vraisemblable semble vrai. C’est très impressionnant.
Suite à un naufrage, Viola se déguise en homme pour se protéger jusqu’à ressembler à Sébastien, son frère jumeau qu’elle croit noyé. Elle entre sous le nom de Césario au service du duc Orsino qui lui demande d’intercéder en sa faveur auprès d’Olivia. Sensible au charme ambigu de Césario, Olivia le poursuit de ses avances. Viola ne peut dévoiler son identité à Olivia ni à Orsino dont elle est éprise en secret.
Malvolio, ambitieux intendant d’Olivia est la cible des manigances des chevaliers ivrognes Sir Toby et Sir Andrew, et de la dame de compagnie Maria. Et Feste, le fou d’Olivia, ne fait rien pour démêler les choses. Le sauvetage de Sébastien, enfin découvert, semble apaiser les esprits et œuvre vers une fin dénouée.
Qui reconnaitra qui alors ? Qui se reconnaitra ? Malgré les nombreux travestissements, les échanges de genres, les sensations voire les amours traversés ? Quelle place chacune et chacun retrouvera ? La joie qui d’ordinaire vainc et réconcilie, nous le dira-elle à la fin ?
La confusion des identités, des genres, des sexes et des mots comme les nombreuses adresses au public en référence à l’environnement social et politique (incises fidèles à l’esprit des lazzis de la commedia dell’arte, des bouffonneries du théâtre populaire de tréteaux comme du théâtre Élisabéthain) se combinent pour nous entreprendre sans cesse et nous faire balancer d’un bord à l’autre de ce spectacle enveloppant, envoutant et beau.
La sensualité côtoie le grotesque et les effets transgressifs la pureté des sentiments. Nous sommes touchés, éblouis souvent, par les approches fines et troublantes des questions autour du travestissement, du genre, de l’hétérosexualité, de l’homosexualité et de la bisexualité, de l’amour incestueux. Celles aussi autour du pouvoir des puissants et celui de leurs serviteurs, de la probité, de l’amour et de l’amitié.
La troupe est époustouflante de brio. Elles et ils sont de toutes les nuances, de toutes les passions, de tous les changements pour leurs personnages avec une maitrise qui subjugue, pour un ravissement total.
Un spectacle grandiose, un éblouissement permanent, le temps du spectacle passé, nous restons cois. Un magnifique moment de théâtre.
Spectacle vu le 24 septembre 2018,
Frédéric Perez
De William Shakespeare. Traduction de Olivier Cadiot. Adaptation et mise en scène de Thomas Ostermeier. Scénographie et costumes de Nina Wetzel. Lumière de Marie-Christine Soma. Musiques originales et direction musicale de Nils Ostendorf. Travail chorégraphique de Glysleïn Lefever. Réglage des combats de Jérôme Westholm. Dramaturgie et assistanat à la mise en scène de Elisa Leroy. Collaboration à la dramaturgie de Christian Longchamp. Collaboration à la scénographie et aux costumes de Charlotte Spichalsky.
Avec la troupe de la Comédie-Française : Denis Podalydès, Laurent Stocker, Stéphane Varupenne, Adeline d’Hermy, Georgia Scalliet, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Anna Cervinka, Christophe Montenez, Julien Frison et Yoann Gasiorowski.
Et Paul-Antoine Bénos-Djian et Paul Figuier (en alternance).
Clément Latour et Damien Pouvreau (en alternance).
Voir les dates des représentations sur le calendrier du site
Place Colette, Paris 1er
01.44.58.15.15 www.comedie-francaise.fr