Quand la parole d’une fille du peuple, d’origine paysanne de surcroit, émerge même pudiquement, un contentement surpris et fier vient accompagner l’écoute de ses propos.
« Pour cent francs par an, je faisais la cuisine et le ménage, cousais, lavais, repassais, savais brider un cheval, engraisser les volailles, battre le beurre, et restai fidèle à ma maîtresse, qui cependant n’était pas une personne agréable… »
Quand cette parole sait se faire tendre ou tonique, précise et généreuse, son écoute touche au cœur. Tout simplement, dans l’humilité de son récit aussi noble que dépouillé et si instructif sur les conditions de vie de la domesticité pauvre et dévouée, toujours à la peine, en cette fin de 19ème siècle.
« Paul et Virginie, l’un âgé de sept ans, l’autre de quatre à peine, semblaient formés d’une matière précieuse ; je les portais sur mon dos comme un cheval ; et Madame Aubain me défendit de les baiser à chaque minute, ce qui me mortifia. Cependant je me trouvais heureuse… »
Oui, elle est généreuse Félicité. Elle fait don de soi autant par bonté que par ignorance.
« J’avais eu, comme une autre, mon histoire d’amour… » « … Le moment arrivé, je courus vers mon amoureux. À sa place, je trouvai un de ses amis. Il m’apprit que je ne devais plus le revoir. Pour se garantir de la conscription, Théodore avait épousé une vieille femme très riche, Mme Lehoussais, de Toucques. »
Sa capacité de résilience à ses tourments remplace la résignation blessante à chaque refus, la frustration rebondissante à chaque travers et la privation de joies personnelles, intimes ou sociales. Son affection et son amour sont ses preuves de vie.
Une histoire simple pour un cœur simple, qui témoigne de la dureté de la vie des gens pauvres, beaux dans leur combat pour vivre ou survivre, heureux et tristes à la fois, que Flaubert a si bien décrite.
À partir d’une nouvelle du grand écrivain, parue dans le recueil « trois contes » en 1877, Isabelle Andréani signe une adaptation théâtrale pour une comédienne, de belle facture, digne et d’une précision ciselée. Sa Félicité est heureuse de nous confier son récit, de nous aider à le faire nôtre, à nous en émouvoir simplement mais irrémédiablement.
La mise en scène de Xavier Lemaire est adroite, vive et calée au cordeau. Les ruptures et les sursauts, les silences et les pauses du récit comme les propos et les mouvements du personnage sont rythmés et distillés avec un raffinement et une précision d’orfèvre qui nous tiennent en haleine, tendus vers l’écoute et l’observation, impatients de découvrir la suite de cette histoire captivante.
Mais la beauté du spectacle éclot pleinement grâce à l’interprétation incarnée, lumineuse et sincère de Isabelle Andréani. Une comédienne époustouflante. Sa sensibilité touche à la délicatesse, sa puissance de jeu à l’entièreté de son engagement. Elle porte toutes les facettes de son personnage avec un brillant talent. Elle est Félicité ou plutôt Félicité c’est elle, je ne sais pas, je ne sais plus.
Cette adaptation réussie est bienveillante et bienfaisante. L’interprétation y est magistrale et poignante. Ce spectacle est une perle admirable que j’ai plaisir à recommander.
Spectacle vu le 11 octobre 2018,
Frédéric Perez
Avec Isabelle Andréani.