Un spectacle-miroir d’un monologue interrompu. Une tentative ratée et intentionnellement vraisemblable de raconter une histoire d’amour idyllique. La sienne. Une histoire d’amour dont l’auteur surtout ne peut pas ou ne veut pas écrire la fin. Gabriel F. veut que ce spectacle soit le sien. Un monologue de vie où la fiction pourrait surpasser la réalité au risque de s’y perdre.
« Il a choisi d’être seul en scène, mais la solitude le terrifie. Il s’adresse aux spectateurs, les questionne. Mais il n’attend pas de réponse. Il n’est pas à un paradoxe près. Gabriel F., auteur, metteur en scène, acteur, dialogue avec sa propre voix enregistrée. Il chante sur des bandes sonores, joue sa vie et son propre rôle, veut revivre sur le plateau le baiser de sa plus belle histoire d’amour. Il engage Gaspard un escort boy pour lui donner le change et la réplique. Ils essaient ensemble. Mais le personnage ajouté détruit en direct le spectacle. L’escort n’aurait pas dû parler, il l’a fait. L’auteur renonce. Puis ils reprennent.
- Tu me payes juste pour rester ici, et c’est tout ?
- Oui. Pourquoi ?
- Pour rien, ça me paraît un peu bizarre...
- « Bizarre » pourquoi ?
- Parce qu’en général les clients me prennent le service complet …/...
- Moi je ne trouve pas ça bizarre... il y a beaucoup de solitude dans le théâtre »
Qui est Gabriel ? Qui est Gaspard ? Qui sont-ils l’un pour l’autre. Des partenaires, des personnages, des acteurs ? La fiction pourrait-elle supplanter la réalité ? À quelle représentation sommes-nous ? Témoignages d’expériences vécues, confidences fantasmées, une histoire d’amour comme une autre, racontée et sublimée pour la montrer en public ?
Nous assistons à un jeu permanent d’allers-retours entre la vraisemblance du désir et le réalisme de sa représentation, entre le songe et le mensonge, entre l’écriture de plaisirs vécus ou espérés et le doute de leur existence, entre la solitude effective et la peur de l’abandon.
Une confusion soigneusement entretenue règne sur le plateau, nous trouble et nous emporte, charriant nombre de projections de nous-mêmes, de doutes ou de réminiscences. L’observation du spectateur semble se confronter sans cesse à son imaginaire.
La mise en scène minimaliste centre notre attention sur la relation entre les deux personnages joués superbement par Gabriel F. et Gaspard Liberelle. Nous doutons jusqu’à la fin du gagnant de ce rapport de force s’il en est, étrange et surprenant.
Une proposition théâtrale délibérément provocatrice où il nous revient de chercher et trouver ce qui nous est dit, montré et suggéré. Un spectacle dont on sort abasourdi et porteur de nombreux sentiments troublés et de sensations agréables qui s’entremêlent.
Spectacle vu le 8 janvier 2019,
Frédéric Perez
Texte et mise en scène de Gabriel F. Direction artistique et musicale de Marco Michelângelo. Traduction de Gaspard Liberelle. Assistanat à la mise en scène par Luiza Guimarães. Chorégraphie de Igor Calonge. Direction technique et lumière de Cristina Bolívar. Art graphique de Luísa Malheiros. Scénographie et costumes : Teatro de Açúcar. Construction décor : Atelier de la Comédie de Saint-Étienne.
Avec Gabriel F. et Gaspard Liberelle.