Un spectacle d’une puissance émotionnelle prégnante qui restitue avec une vigueur délicate et vibrante à la fois le texte de Stefan Zweig. Comme une ode à l’amour. Comme une offrande magnifique à un être aimé passionnément, qui ne le saura jamais au présent.
Une relation inique et pourtant si vraisemblable entre un homme qui ne sera chéri que dans l’ombre et l’anonymat par une femme qui choisit d’être et de rester une inconnue, préférant les troubles du non-dit qui nourrissent autant qu’ils font souffrir à la normalité d’une relation claire et codée mais qui l'exposerait sans doute. Jusqu’à la délivrance qu’elle décide enfin et peut-être malgré elle, en lui écrivant leur histoire, pour ne pas partir sans lui dire qui elle est, ce qu’elle a vécu et ce qu’ils ont fait ensemble sans qu’il le sache.
Zweig sait toucher loin profond, ce récit en est une nouvelle preuve. Spectateurs attentifs car aussitôt captivés par ce que nous découvrons, chacune et chacun d’entre nous ne peut que retrouver ou ressentir des émotions troubles, des désirs oubliés, des fantasmes voilés ou des frustrations rentrées. Cette femme qui sort de l’ombre et qui met enfin en lumière toute une vie d’amoureuse, nous touche, nous trouble, nous émeut.
Depuis l’enfance où elle fait la connaissance de ce voisin qui s’installe dans l’appartement d’en face, sans se présenter, subjuguée par lui elle le suivra, le rencontrera même, sans rien dévoiler. Elle écrit cette lettre testamentaire pour relater ce qu’elle a consigné dans sa mémoire. Les découvertes progressives de l’éblouissement, de la souffrance et de l’exaltation des premières sensations sexuelles, de l’attirance des premiers émois jusqu’à la découverte du désir et le déroulement de cette vie d’amour sublimé, sensuel et si peu assouvi. Et puis il y a l’enfant, son enfant…
Dans une mise en scène et une scénographie explicites et laissant place en même temps à un onirisme discret, Lætitia Lebacq incarne cette inconnue avec une véracité stupéfiante. Cette magnifique comédienne, qui joue et danse avec délice, puise dans sa palette d’émotions avec une précision remarquable sans jamais tâter du pathos. Densité de la souffrance, légèreté des souvenirs heureux, profondeur et noblesse des sentiments devant l’amour et devant la mort. Un jeu incarné d’une efficacité redoutable qui touche et fait mouche à chaque fois. Chapeau bas et bravo Mademoiselle !
D’une beauté soignée et d’une humanité chaleureuse, l’intensité fulgurante de ce spectacle nous touche. Incontournable temps de théâtre que je recommande vivement.
Spectacle vu le 6 janvier 2019,
Frédéric Perez
D’après le roman de Stefan Zweig. Traduction de Sylvie Howlett (Éditions Magnard). Mise en scène de Lætitia Lebacq. Scénographie de Muriel Lavialle. Chorégraphie de Sandra Pinto-Régal. Musique de Thomas Marqueyssat. Lumières de Johanna Legrand. Coiffure et maquillage de Delphine Ethève. Travail Vidéo de Lætitia Lebacq et Thomas Marqueyssat.
Avec Lætitia Lebacq et la voix de Jean-Baptiste Verquin.