Bernard Besserglik écrit ce texte, d’une intimité saisissante, après la fameuse affaire Bettencourt du début des années 2000. Affaire qu’il suit alors en tant que journaliste de l’AFP. Un implacable monologue théâtral aux allures d’interrogatoire auquel l’héritière de l’Oréal se soumettrait pour mieux faire comprendre la femme qu’elle est et les choix qu’elle a fait, tout simplement, sans artifice, sans évitement ni contournement.
Malgré la fortune incroyable de cette femme ou peut-être à cause. Dans un entourage où nombre d’écoutes et de confiances sincères ont sans doute manqué. Liliane Bettencourt a décidé de briser son carcan et de vivre intensément une amitié avec un homme plus jeune qu’elle, un artiste, le photographe François-Marie Banier dont elle appréciait le travail et la compagnie.
« C’était un grand artiste qui avait besoin d’un mécène. Et le mécène c’était moi »
Alors, le quotidien est tout à coup redevenu vivant. Les cadeaux faits et les sorties communes, motivés par le plaisir.
« Bien sûr que j’étais d’accord, quarante mille euros, ce sont des broutilles »
Elle s’adonne et se donne à cette nouvelle vie. Surement parce que son ennui de vivre dans un vide personnel devenait insupportable et vain. Un vide rempli de vacuités sociales, de calculs, de stratégies, d’hommages qui ont fini par abstraire le sentiment de soi.
« Il m’a fait jouir. Oui, le terme n’est pas trop fort. Mais non, nous n’avons jamais couché ensemble. »
Entre amour platonique et complicité amicale, entre attentions affectueuses et liens intimes, enfin compter pour l’autre et pouvoir compter sur l’autre devenait ou redevenait possible. Pour tenter de retrouver peut-être les sensations enfouies mais certainement pas oubliées d’une jeunesse amoureuse où la joie du présent dessinait l’avenir et que les obligations familiales ont brisé.
L’écriture de Bernard Besserglik conduit la progression du récit avec habilité. Nous entrons peu à peu au cœur du sensible. Nous découvrons peu à peu la femme dans le dépouillement stricte de ses sentiments. Laissant en allant les considérations pour livrer avec humilité la profondeur de ses propos et la sincérité de ses actes.
Christiane Corthay incarne Liliane B. avec vigueur et sensibilité. Son interprétation est crédible au point de nous faire oublier le contexte et de se retrouver face à une femme qui crie son droit à la liberté d’aimer, d’agir et de choisir. Christiane Corthay nous cueille, troublante et émouvante.
Un récit de vie d’une finesse et d’un intérêt remarquables. Un texte brillant pour une interprétation magnifique. Je recommande vivement cette rencontre singulière.
Spectacle vu le 14 mars 2019,
Frédéric Perez
De Bernard Besserglick. Mise en scène de Sylvain Corthay. Costumes de Camille Duflos. Décors de Aurélien Maille. Lumières de André Diot.
Avec Christiane Corthay.