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Comme ces spectacles étrangement et savoureusement envoutants tant ils sont beaux et émouvants qu’ils viennent aussitôt imprégner pour longtemps nos souvenirs, ce spectacle rejoint sans attendre la galerie de nos plaisirs mémorables de théâtre. Voici une perle rare. Un moment profondément touchant.

 

Nous sortons groggy par ce que nous avons vu et ressenti. Le sourire aux lèvres après tout ce qui nous a éblouis, les yeux encore embués de l’émotion qui nous a étreint, les oreilles gardant en tête les éclats comme les murmures de joie, de hargne et de passion. Nous avons assisté à des luttes violentes, intelligentes et sensibles entre deux personnages qui se sont livrés tout entier dans un combat qui semblait inique et qui se révélera inouï.  Un combat pour l’absolu, un combat pour l’amour à mort de l’Art, pour son respect, sa transcendance et son unicité.

 

Nous sommes en 1941. Mademoiselle Fischer, attachée culturelle allemande, interroge Pablo Picasso dans une cave. Elle cherche à lui faire authentifier quelques-unes de ses œuvres pour une exposition « d’art dégénéré » qui se terminera par un autodafé.

 

Les échanges vifs deviennent peu à peu écorchés, Picasso résiste bien sûr. Fischer insiste avec fougue. Jusqu’où résistera-t-il ? Jusqu’où insistera-t-elle ?

 

Les propos de l’immense artiste Picasso, déjà célèbre, se buttent aux interprétations de l’attachée culturelle sur la volonté intrinsèque des peintures ou des dessins, tentant de mettre à jour les messages possibles d’un ennemi de l’occupant. Elle semble à son affaire, il semble touché.

 

Mais rien n’est simple dans ce combat. Quel est ce bras de fer incroyable et splendide ? Que nous révèle ce rapport de force se dirigeant vers une fin qui ne peut être qu’irrémédiable ? Derrière l'homme à la vie sulfureuse et à l’œuvre de génie, que nous dévoile Picasso ? Et mademoiselle Fischer, pourra-t-elle arriver à ses fins ?

 

La mise en scène de Anne Bouvier est précise et sans artifice, laissant à la puissance du texte et des jeux le soin de nous entreprendre. Avec adresse, la direction de jeux et la scénographie donnent une fluidité au récit et une éclatante visibilité aux personnages.

 

Jean-Pierre Bouvier est magnifique. Il faut le voir tout en espièglerie sarcastique ou entrer dans les fameuses colères de Picasso ou bien encore le surprendre affaibli et meurtri quand il évoque la petite sœur Conchita et son Guernica. Sa palette de jeu est impressionnante, colorée et intense. Incroyablement surprenant et touchant.

 

Sylvia Roux illumine le plateau de sa présence. Elle fait resplendir Mademoiselle Fischer d’une ardente et farouche combativité. Toute en paradoxes, elle nous intrigue de son inquiétante et menaçante colère comme de son étonnante et attirante sensibilité de femme troublée. Une comédienne solaire qui fait mouche et touche à chaque fois.

 

Ce duo d’acteurs est splendide et ô combien complémentaire. Lui comme elle nous cueillent. Il y a des vibrations dans l’air, de la sensualité et de la fougue sur le plateau. Une magnifique leçon d’interprétation.

 

Oui, ce spectacle est assurément une perle rare, un moment profondément touchant. Un incontournable rendez-vous du festival OFF cette année, que j’ai beaucoup de plaisir à recommander.

 

Spectacle vu le 11 juillet (pour la 3ème fois),

Frédéric Perez

 

De Jeffrey Hatcher. Adaptation de Véronique Kientzy. Mise en scène de Anne Bouvier. Décor de Charlie Mangel. Lumières de Denis Koransky. Costumes de Mine Verges. Musique de Raphaël Sanchez.

Avec Jean-Pierre Bouvier et Sylvia Roux.

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