Un moment de théâtre qui nous parle de théâtre, fait de narrations jouées, délicat et exaltant, précis et précieux. Les mots du maître résonnent avec profondeur ici et après, virevoltent avec sensibilité et viennent nous toucher sans coup férir. Évidence singulière des propos réfléchis et espiègles, mûris par l'expérience et par un enchantement toujours renouvelé, nous nous délectons de la parole d’un immense comédien désormais mythique qui n’a eu de cesse de « jouer avec » le public.
Maxime d’Aboville, jeune comédien subjugué très tôt par Michel Bouquet, offre ici une partition colorée et entière, fascinée et fascinante, que Michel Bouquet a lui-même ressortie du livre d’entretiens réalisés avec Charles Berling. Des anecdotes souvent drôles et toujours signifiantes se nichent dans les propos saisissants qui nous sont délivrés.
« Maxime d’Aboville s’empare de la parole inspirée et vivante d’un monstre sacré nommé Michel Bouquet. Deux ou trois heures avant la représentation, Michel Bouquet est sur scène devant le rideau de fer qui masque le décor. C’est un rituel de rester un moment là pour se recentrer, « sentir » la salle avant de rejoindre sa loge pour mettre son costume et se reposer. »
Le texte fait ressortir les points sans doute les plus importants de l’expérience construite de Michel Bouquet. L’analyse fine du personnage dans les pas de l’auteur apparait à chacune de ses évocations. Et par conséquent, diverses notions d’interprétation auxquelles une importance est donnée.
Il y a comme une dualité entre l’interprète et son personnage. « Le comédien fait le personnage, il ne l’est pas » ; « le personnage, c’est pas lui, c’est l’autre ».
La parole de Michel Bouquet s’immisce dans notre expérience de spectateur, avec chaleur et humanité, tissée de ses regards sur la vie et ses écoutes de l’autre. Ce qui est dit devient leçon. A charge pour celle ou celui qui l’entend de la faire sienne ou juste la prendre un instant pour comprendre quelques voies de passage de l’interprète au personnage, du texte au spectacle, du réfléchi au sensible.
Quitte à s’apercevoir dans le miroir du plateau, à y reconnaître certains liens qui nous tiennent en passion et nous conduisent peu ou prou vers le plaisir au théâtre. « Devenir comédien pour échapper à la réalité » dit en substance monsieur Bouquet, ce credo n’est-il pas aussi un peu le nôtre en tant que spectateur ?
La mise en scène de Damien Bricoteaux cultive la sobriété du jeu de l’acteur et de sa mobilité dans l’espace, laissant les mots cheminer, les impressions se former, les sensations nous atteindre. Maxime d’Aboville s’emparent des propos de Michel Bouquet tout en simplicité. Celle d’un excellent comédien qui sert un auteur et qui l’interprète avec sa part contributive, son approche du personnage. Un art abouti qui convient bienheureusement ici.
Les mots de Michel Bouquet et l’interprétation de Maxime d’Aboville font de ce spectacle un temps de théâtre intelligent et captivant où le plaisir est vif tant l’hommage est réussi, les propos passionnants et le jeu juste et personnel. À voir et à revoir, je le conseille vivement.
Spectacle vu le 10 septembre 2019,
Frédéric Perez
De Michel Bouquet. D’après Les Joueurs, entretiens avec Charles Berling, éditions Grasset. Mise en scène de Damien Bricoteaux. Décor de Margueritte Danguy des Déserts. Lumières de François Loiseau.
Avec Maxime d’Aboville.
Du mardi au samedi à 19h00
75 boulevard du Montparnasse, Paris 6ème
01.45.44.50.20 www.theatredepoche-montparnasse.com
Tournée avec le Théâtre Montansier
de octobre à décembre 2020