Voici un pamphlet implacable sur la domination institutionnelle qui règne à l’école comme ailleurs. Une démonstration édifiante de ses effets dévastateurs sur les personnes au nom du dogme, de la loi ou de la bonté.
« Le prof d’anglais accompagne les élèves en cours de natation. Mais deux collégiens se jettent sur lui, jouent à le couler. Mauvaise farce ou tentative d’assassinat ? Au collège Trinité, tout s’enraye jusqu’à la catastrophe. À partir du fait divers, les débats dressent des portraits drôles et féroces d’une humanité qui prend l’eau et se noie. »
Dans une atmosphère troublante qui touche au sordide, la suspicion fait rage, la haine rampe et persifle. La conscience glisse peu à peu vers le délire, poussée par les obstructions extrémistes et irrémédiables de la logique imperturbable d’une hiérarchie qui dicte parce qu’elle sait, qui juge parce qu’elle détient la justice et énonce le droit. Le délire rejoint l'absurde, on attend les coups bas, on se doute d'une bascule. Aura-t-elle lieu ? Feront-ils mal ?
Nous entrons dans ce spectacle comme on entre dans un labyrinthe. C’est du spectacle donc c’est innocemment que nous y allons, contents de se confronter à une intrigue qui ne montre pas aussitôt ses contours, nous amusant des coups de ciseaux sur la toile de l’école. Puis non. Il ne s’agit pas de ça, ce ne peut pas être que ça. Il nous faut faire un pas de côté pour se rendre compte de ce qui se joue vraiment, de ce qui est dénoncé assurément.
Quel est le problème ? Où se trouve le propos ?
Toute institution où l’organisation humaine est hiérarchisée, de l'atelier de confection à la société tout entière, en passant par l'industrie, l’administration ou l'école, porte en elle les risques de dérive oligarchique, faites de rapports de forces, de cruautés larvées et menaçantes, de maintiens à tous crins du respect des dirigeants érigés en élite.
Ici, au Cours Classique, c’est le censeur des études qui fera le travail. Digne représentant de l’élite professorale, il se sert sans faillir d’un fait divers anodin d’adolescents, avec le sarcasme du fou qui ne sait plus ce qui est juste ou sadique, pour entreprendre une enquête aux allures d’inquisition, de procès en sorcellerie ou de procès politique.
La mise en scène épurée de Sandrine Lanno convient parfaitement au récit glaçant et contribue à centrer l’attention sur les personnages, leurs propos dont on n’ose croire à la portée et leurs interactions efficaces, réussies dans leur juste sobriété, avec le public. Il y a eux et nous, c’est tout. C’est intrusif au possible. Les sourires se figent souvent. Les rires s’échappent pour soulager. Le récit chemine et vient nous envahir peu à peu de l’incroyable changement auquel on assiste, montrant notre impuissance, nous laissant éberlués.
Philippe Duclos est le censeur des études. Magnifique dans sa froideur implacable et douce, presque confiante, à l'intransigeance cynique et rance, il donne au personnage une rouerie sournoise à la stature d’un bourreau, aux limites du supportable, un odieux abouti. Grégoire Œstermann, de sa diction claire et posée, un rien éthérée, campe le professeur principal chargé de « l'acquisition du savoir » (!), dont on ne sait s’il est candide ou pas, s’il est joué ou joueur. Tant son jeu cache une espièglerie d’insurgé mutique, une complicité avec les « victimes », un fêlure identitaire qui croît tout le long. Quels interprètes ! Chapeau bas messieurs.
Un spectacle plus fort qu’il n’y paraît au début, sa progression originale nous tient en haleine. L’interprétation magistrale de Philippe Duclos et de Grégoire Œstermann y est sans doute pour beaucoup. Je conseille vivement ce spectacle.
Spectacle vu le 7 septembre 2019,
Frédéric Perez
Texte : Yves Ravey. Adaptation : Joël Jouanneau et Sandrine Lanno. Mise en scène : Sandrine Lanno. Collaboration artistique : Isabelle Mateu. Scénographie : Camille Rosa. Lumière : Dominique Bruguière. Costumes : Nathalie Pallandre. Musique et son : Fanny Martin. Direction technique et régie générale : Denis Arlot. Ingénieure du son : Yolande Decarsin.
Avec Philippe Duclos et Grégoire Œstermann.
Du mardi au samedi à 21h00 et le dimanche à 15h30
Relâche le 10 septembre
2 bis avenue Franklin Roosevelt, Paris 8ème
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