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Six directeurs de théâtres publics et privés témoignent. Ils craignent de ne pas pouvoir rouvrir mi-mai.
Par Alexis Campion dans le JDD du 11 avril 2021 (photo © AFP, source revue de presse théâtre Scoop.it)

Stéphane Braunschweig, directeur de l'Odéon occupé, attend une annonce plus ferme de la part du gouvernement.

La ministre de la Culture est sortie de l'hôpital, le spectacle vivant ne respire toujours pas. Les annulations et reports se prolongent sans fin depuis plus d'un an. La précarisation des intermittents se précise. La motivation des occupants des théâtres se renforce. Dans ce contexte, alors que la pandémie sévit toujours en France, la reprise des théâtres promise pour la mi-mai par le Président lors de sa dernière allocution paraît de moins en moins probable et beaucoup de professionnels, traumatisés par le faux départ du 15 décembre dernier, n'osent plus y croire. La confiance s’érode.

Si Stéphane Braunschweig, directeur du théâtre de l'Odéon actuellement occupé, assure être toujours en contact direct avec le cabinet du ministère de la Culture, il attend toujours une annonce ferme afin de pouvoir organiser une réouverture qui ne saurait s’organiser du jour au lendemain. Bertrand Thamin, président du syndicat national du Théâtre Privé, n’a eu accès à aucune concertation depuis que la ministre est tombée malade. Tous se disent las des supputations qui n'ont toujours pas accouché d'un ordre de marche sanitaire précis afin qu'une reprise, même minorée, puisse se concrétiser officiellement. Pour Jean Bellorini, directeur du Théâtre National Populaire, il faut parer au plus urgent "redémarrer la machine à l'endroit des festivals de l’été à tout prix"...

"La reprise de mi-mai? Mais en quelle année?"

Bertrand Thamin, directeur du théâtre Montparnasse et président du syndicat national du Théâtre Privé.

"La reprise de mi-mai? Mais en quelle année? Bien sûr on peut et on a intérêt à espérer une ouverture début juin mais je pense qu'il se passera la même chose que l'an dernier : quelques petites salles rouvriront et les plus grandes, dans leur immense majorité, attendront septembre pour des questions bêtement économiques, la reprise par étapes avec des jauges dégradées et un couvre-feu n'est pas viable. La même incertitude plane sur Avignon où les théâtres du off devront sans doute passer de 8 à 5 représentations par jour afin de respecter les consignes sanitaires, et tout cela est encore à l'étude..."

"Il faut une annonce certaine au moins quatre semaines avant"

Stéphane Braunschweig, directeur du théâtre de l'Odéon actuellement occupé.

"La reprise mi-mai, bien sûr, j'ai envie d'y croire. Mais pour le faire, il faut une annonce certaine au moins quatre semaines avant afin que nous l'organisions avec un calendrier, une communication, des décors montés à temps, etc. Dans l'attente, le nouveau spectacle de Christophe Honoré (Le Ciel de Nantes) prévu en avril est reporté à 2022. Mi-mai, nous pourrions rouvrir avec La Ménagerie de Verre, d'Ivo Van Hove avec Isabelle Huppert, que nous n'avons pu jouer qu'une semaine l'an dernier.

En ce qui concerne les protocoles, on sait faire, l'ouverture de septembre dernier a montré que les flux étaient bien répartis.

Isabelle Huppert sera par ailleurs en répétition chez nous en mai pour La Cerisaie, mise en scène Thiago Rodriguez, prévue en juillet à Avignon. D'autres spectacles sont prêts, Antoine et Cléopâtre de Célie Pauthe initialement prévu pour lever le rideau fin avril, et Berlin mon Garçon de Marie Ndiaye mis en scène par Stanislas Nordey, qui attend toujours sa première après plusieurs annulations. Mais est-ce que cela vaudra la peine de les jouer à peine deux ou trois semaines avec une jauge dégradée? Nous n'avons pas encore tranché.

En ce qui concerne les protocoles, on sait faire, l'ouverture de septembre dernier a montré que les flux étaient bien répartis. Si les occupants du théâtre sont toujours là mi-mai, il sera difficile pour nous de jouer. J'espère que si on arrive à rouvrir, ils entendront raison, après tout cette réouverture était leur première demande. Après, certains d'entre eux ont affirmé qu'ils empêcheraient la réouverture si on ne répondait pas à leurs revendications concernant l'assurance-chômage..."

"Nos maisons n'ont plus les moyens de faire semblant"

Jean Bellorini, directeur du TNP, Théâtre national populaire à Villeurbanne.

"Mi-mai je n'y crois pas et je n'ai pas du tout envie de revivre ce qui est arrivé le 15 décembre. Nos maisons n'ont plus les moyens de faire semblant. La réalité des hôpitaux m'interdit de faire pression pour une réouverture à tout prix. On ne peut pas aller à l'encontre de ce qui est sanitairement raisonnable même si, évidemment, on a des spectacles prêts, notre détresse est évidente. On espère sauver en partie la Biennale de la Danse début juin. C'est à l'endroit des festivals d'été que la machine doit redémarrer à tout prix.

Nous, on s'adaptera tant que possible comme on le fait déjà en dépit du manque de clarté des plus hautes autorités, on jouera Onéguine, mais le spectacle du centenaire du TNP, prévu le 27 avril et encore une fois repoussé, on s'attend à le jouer en septembre. Je ne crois plus en rien mais on fera déborder notre saison sur début juillet si une reprise est possible d'ici là. L'occupation du TNP en ce moment, par 60 personnes, se passe bien, en bonne intelligence avec nos équipes qui travaillent. Mais cela révèle un paradoxe difficile à digérer : les autorités laissent faire, à noble titre car le théâtre c'est une agora, un lieu pour discuter, et pourtant, par principe elles n'acceptent pas des représentations à 60 spectateurs? Pourquoi, depuis octobre, ont-elles refusé toutes nos demandes officielles pour jouer, ne serait-ce que pour des scolaires et dans les plus strictes conditions sanitaires ?"

"Je ne crois plus rien et je ne prépare rien"

Arthur Nauzyciel, directeur du TNB, théâtre National de Bretagne à Rennes.

"Mi-mai? Mais je n'en sais rien, je ne crois plus rien et je ne prépare rien car rien n'est tranché. Si la réouverture est autorisée mi-mai, il faudrait une annonce mi-avril pour qu'elle se fasse dans de bonnes conditions. A ce stade, on ne fait plus de projets et entre nous, artistiquement, mon imaginaire est bloqué, empêché par les conditions actuelles. On est comme des avions au sol.

La reprise sera complexe et personne ne sait à quoi s'attendre.

Mais on saura réagir une fois que le calendrier sera précisé, ainsi que les contraintes. Si on ne peut ouvrir qu'en juin, ce sera un temps très court en fin de saison, il faudrait imaginer quelque chose de fort et de réparateur pour retrouver le public, un projet spécifique qui réunirait les générations qui ont été si durement opposées par cette pandémie, et qui ne pourrait être formulé que si les conditions autorisées sont clarifiées.

La reprise sera complexe et personne ne sait à quoi s'attendre. Le respect des conditions sanitaires sera prioritaire. On ne peut pas généraliser l'impact d'une pandémie qui relève de l'intime. Beaucoup de gens sont meurtris, pas rassurés, ce ne sera pas forcément la fête. Nous avons une responsabilité envers le public, les plus fragiles, les artistes dont nous avons honorés tous les contrats malgré le crève-coeur des annulations."

"Je ne prévois rien avant septembre"

Jean Robert-Charrier, directeur du théâtre de la Porte Saint-Martin.

"Je ne crois pas une seconde à une reprise mi-mai, je ne prévois rien avant septembre. Ce que j'attends, c'est une date précise avec une jauge qui ne serait pas trop dégradée, bref je n'attends rien sinon des propos assurés... Et non des supputations! A cela s'ajoute un calendrier de reprise très compliqué à organiser quand les disponibilités des comédiens appelés à tourner pour des films changent tout le temps. Et entre nous, j'ai en assez de parler de ça."

"Je ne m'attends à rien de très concret avant juin"

Sébastien Azzopardi, directeur de deux grands théâtres privés parisiens, le théâtre Palais-Royal et le théâtre Michel.

"A titre personnel je ne crois pas à une reprise mi-mai. Le Président a bien dit que cette reprise serait progressive et favoriserait les représentations en extérieur et les petites jauges. De l'expérience vécue l'an passé, je présume qu'on rouvrira d'abord certains restaurants et bars qui peuvent accueillir en extérieur.

Je ne m'attends à rien de très concret avant juin. Pour nous, théâtres privés, c'est paradoxal de tenter la réouverture en fin de saison, juste avant la fermeture d'été. De plus, faudra-t-il compter sur un couvre-feu mortifère pour nous qui ne sommes pas des cinémas? La proposition de réouverture en trois étapes, avec des jauges progressives à 35% puis à 65% et enfin 100% sera difficilement viable sans dédommagement.

Avec toutes ces questions en suspens, le plus simple est de miser sur une réouverture en septembre.

Avec toutes ces questions en suspens, le plus simple est de miser sur une réouverture en septembre. Certains comédiens programmés en juin nous ont appelé car ils ont des propositions de tournage pour juin. Ces engagements étant plus sûrs pour eux que notre épais brouillard, on les a libérés...

Notre véritable horizon, c'est septembre au théâtre du Palais-Royal avec deux reprises : Edmond et La Machine de Turing. Reste beaucoup de questions de planning. Concernant les protocoles d'accueil des publics, je pense que nous maîtrisons plutôt bien ces sujets car si l'aération des lieux reste une interrogation, c'est vrai, diverses études ont bien montré que la maîtrise des flux et des gestes barrières est plus avérée dans les théâtres que dans les grands magasins ou dans les gares, où les gens bougent dans tous les sens, les flux sont chaotiques."

"Nous avons tout déprogrammé jusque fin juin pour envisager une reprise en septembre"

Elisabeth Bouchaud, directrice du théâtre de La Reine Blanche à Paris et à Avignon.

"La reprise mi-mai ou juin je n'y crois pas du tout. Nous avons tout déprogrammé jusque fin juin pour envisager une reprise en septembre. Comment rouvrir en fin de saison avec une jauge diminuée et alors qu'on ne connaît pas les conditions de dédommagement? Nous avions prévu Cerebrum, un seul en scène d'Yvain Juillard, l'acteur qui a incarné Louis XVI dans Fin de Louis, le fameux spectacle de Joël Pommerat. Ce serait absurde de ne le jouer trois semaines en jauge dégradée sans même pouvoir communiquer en amont. En septembre et octobre dernier, pendant le mois et demi de réouverture, ces conditions étaient bonnes mais aucune garantie ne nous a été donnée pour la suite alors qu'on sait qu'en juin, il faudrait jouer avec une jauge à 35%. En ce qui concerne l'aération, je sais que la Reine Blanche à Paris fonctionne sur de l'air extrait et non brassé. Je me dis que ça ne peut pas être mauvais mais, à ce jour, personne ne m'a dit à quoi il faut se conformer. Pareil pour les pauses entre chaque représentation, quel temps faudra-t-il garantir pour aérer, désinfecter? 45 minutes? 1 heure ?

Notre horizon maintenant, c'est le Off d'Avignon. S'il devait être encore annulé, je vais prendre un sale coup dans la tronche ! Nous avons programmé six spectacles dont quatre produits par nous. Mais on attend pour communiquer, on espère que le SNES précisera la semaine prochaine les conditions d'accueil des publics.. Tout cela est encore bien flou, on sait qu'on doit nommer deux représentants COVID qui, dans chaque théâtre, contrôleront les protocoles sanitaires. Très bien, mais ils doivent être formés. Comment? Quand? Bref, on est dans les starting-block, c'est sûr, mais si on nous donne des devoirs sanitaires sans préciser la marche à suivre...

Lors du premier confinement, j'avais l'impression d'être dans un mauvais remake de Pompéi. Et bien sûr je suis jalouse de l'Espagne, qui a su expérimenter et préserver une part de sa vie culturelle, je redoute le virus quand je monte dans un métro alors que je me sens en sécurité dans le théâtre. Mais je conçois aussi que c'est très difficile de prendre des décisions en ce moment. Je n'aimerais pas être à leur place. Si pénible soit la situation, on se sent moins à terre qu'il y a tout juste un an car on a malgré tout pu accueillir les répétitions de compagnies subventionnées. Bien que diminuée, la vie a continué, les techniciens ont pu être payés. De mon côté j'écris une comédie musicale sur la science que j'espère monter en 2023, 2024 ? (rires..)"

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