Cette pièce aux accents trash de Rémi de Vos décrit avec cynisme et brutalité des gens perdus d’avance à la gagne de leur existence. Perdus, paumés même, ils le sont, munis toutefois de la richesse du désir de s’en sortir et demeurant malheureux de cette collante et étonnante noblesse du désespoir à rester ce qu’ils sont. Ils cherchent à se convaincre qu’ils sont convaincants mais aucun n’est dupe, chacun tente l’impossible pour s’en sortir.
« Ils habitent le même quartier. Bernie, sosie fatigué de Johnny Hallyday, vit seul. Il a perdu sa femme. Il est philosophe dans son genre... Momo, dit Le Guinz, réplique plutôt médiocre de Serge Gainsbourg, tire la corde par les deux bouts... Biche, son épouse, est femme de ménage : c’est elle qui ramène l’argent à la maison... Jean-Jean, leur fils, n'a qu'une envie : partir, mais comme il ne trouve pas de travail... Kate, une jeune fille qui traîne dans la rue, rencontre Bernie lors d’un karaoké... Tous sont à la recherche d’eux-mêmes et rêvent d’une vie meilleure pour échapper à leur quotidien misérable. »
Est-ce que s’identifier comme le sosie d’une célébrité permettrait une transcendance vers un autre soi-même ? plus réussi, mieux fini et plus chanceux, sans ces défauts et ces difficultés du quotidien qui empêchent ?
Quelle est cette quête ? Un combat contre l’oubli de soi pathétique et vain ou un espoir accessible mais improbable ?
On se surprend à les plaindre mais ils le font mieux que nous. Ils portent leurs douleurs existentielles comme d’autres des bonheurs faciles. Alors le sourire prend la relève, le rire souvent aussi, l’humour grinçant du texte nous y invite.
La mise en scène sobre de Alain Timar dessine de traits prudents et respectueux chaque personnage et chacune de leurs relations. La simplicité et la sincérité prévalent malgré la cruauté des caractères et la tonitruance qui éclate par moments. Pas d’appuis dans leurs travers, les situations et les répliques souvent truculentes sont baignées d’altruisme et dénuées de vulgarité, ce qui donne au spectacle profondeur de sens et empathie.
L’interprétation est brillante. Les comédiens John Arnold, Victoire Goupil, Xavier Guelfi, Christine Pignet et David Sighicelli nous offrent à voir de beaux talents portant haut les couleurs de leurs personnages. Le texte leur donne des partitions de jeux complexes et attachants, piqués d’éclats savoureux, drôles et sombres. Elles et ils nous touchent par l’émotion qui jalonne chaque chemin de vie de ces personnages ubuesques et romanesques à la fois, et pourtant si proches. Nous passons à leurs côtés un moment captivant et troublant.
Une pièce impressionnante et drôle, riche en émotions multiples, mise en scène avec précision et finesse. Une interprétation superbe et détonante. Un formidable temps de théâtre que je recommande vivement.
Spectacle vu le 12 juillet 2021
Frédéric Perez
De Rémi de Vos. Mise en scène et scénographie de Alain Timar. Lumière et musique originale de Richard Rozenbaum. Arrangements et régie de Quentin Bonami. Costumes de Sophie Mangin. Construction des décors de Éric Gil.
Avec John Arnold, Victoire Goupil, Xavier Guelfi, Christine Pignet et David Sighicelli.
Jusqu’au 30 juillet (relâche les mardis)
https://www.festivaloffavignon.com/programme/2021/sosies-s27694/