J’HABITE ICI au théâtre du Rond-Point

Un spectacle savoureux de cruauté cynique et sarcastique, aux allures de patchwork démonstratif des légions d’outrances contemporaines qui font tendances. La bien-pensance des repus du savoir qui plastronnent dans leurs certitudes, la rage des bourgeois gavés qui se plaignent de ne pas toujours soumettre et la petitesse foudroyée des autres représentants de la bêtise humaine parmi lesquels nous pourrions nous reconnaitre, une fois passés au travers de l’absurde régnant, tant leur proximité finit par agacer et titiller le regard et la pensée de son effet miroir.

« Amoureux à trottinette, bourgeois très bourgeois, fonctionnaires priapiques, proustiens désabusés, SDF joyeux, végans et policiers poètes tourbillonnent dans un immeuble que réenchante la concierge, ange gardienne de tous ces démons. »

La pièce de Jean-Michel Ribes, « pièce en douze appartements, une concierge dans l'escalier et une rue devant », cible la bêtise ambiante et la crible d’une dénonciation vacharde mais toujours élégante. Les situations et les personnages semblent être déplacés des normes de l’ordinaire pour être toujours en décalage et nous inviter à la réflexion, entre bouffées de rires et surprises en cascades. Et tout y passe ou presque : le racisme usuel et revendiqué ; l’écologie terroriste ; l’homosexualité tolérée mais bon ; l’immigration haïe ; les relations au travail qu’il vaut mieux fantasmer et même les dégâts de l’infection urinaire ou les bienfaits de l’alexandrin !

Il y a comme une poétique de la dérision dans cette forme de dadaïsme piquant et désabusé aux accents de surréalisme moqueur, où les peurs du moment et les ridicules sauveurs qui s’en emparent viennent s’échouer pour notre plaisir.

De saillies franches et hilarantes en formules explosives bien trempées, les traits nombreux et saccageurs servent un spectacle claquant et coloré. La scénographie, les costumes et les maquillages, le son et les lumières, sont d’une efficacité éclatante et d’une teneur artistique de qualité qui répandent une beauté plastique des plus agréables. La mise en scène de l’auteur, calée au cordeau, offre une partition haute en couleurs à une troupe de comédiens en pleine forme qui semble s’amuser autant que le public. Une interprétation de haut vol remarquable.

Un fichu bon plaisir que de retrouver les délices et les ravages de l’univers de Jean-Michel Ribes, qui nous touchent et font mouche à nouveau. Un spectacle à voir sans aucun doute, pour sourire et rire, et pour voir si nous aussi nous n’habiterions pas ici.

Spectacle vu le 12 septembre 2021

Frédéric Perez

Texte et mise en scène : Jean-Michel Ribes. Assistant : Olivier Brillet. Scénographie : Emmanuelle Favre. Costumes : Juliette Chanaud. Lumière : Hervé Coudert. Son : Guillaume Duguet. Maquillage et coiffures : Catherine Saint-Sever.

Avec : Olivier Broche, Manon Chircen, Romain Cottard, Charly Fournier, Annie Grégorio, Jean Joudé, Alice De Lencquesaing, Philippe Magnan, Marie-Christine Orry et Stéphane Soo Mongo.