Quand un ténor doté d’un superbe organe lyrique (oh non, ne commencez pas !) chante des contes licencieux de La Fontaine, cela crée une ambiance comment dire… pas électrique non, ni même anachronique, non plus, ce n’est pas ça du tout. Disons plutôt silencieuse et attentive ! Voilà. Cela semble plus approprié.
Mais n’allons pas semer le doute là où les bas se baissent (et oui, c’est quand même plus pratique). Le public, le pianiste (l’excellent Nicolas Royez ce soir-là) et le ténor (formidable Jean-François Novelli) sont restés comment dire… pas de glace non, ni même de marbre, non plus, ce n’est pas ça du tout. Disons plutôt ébaudis et portés par une impatience opportune d’en découvrir plus. Voilà. C’est plutôt ça.
Et nous voici pris, enfin disons plutôt entrepris car pris pourrait sembler équivoque, quoique entrepris aussi, mais bon... Nous voici pris, donc, par un florilège détonant, galant et graveleux, dans la lignée des fabliaux du moyen âge et des écrits libertins du marquis de Sade en passant par les propos débraguettés de Rabelais, piochés parmi les contes proscrits et pourtant si courus de La Fontaine. Fidèle à son ambition de moraliste, notre illustre auteur n'oublie pas la dénonciation et vient inscrire cette prose dans la pure tradition paillarde des frasques allusives, répandue dans le capital culturel de notre patrimoine artistique jusque dans les répertoires de salle de garde des cours seigneuriales comme de facultés.
La Fontaine est l’excellent fabuliste que nous savons grâce à la notoriété de ses cigales, fourmis, loups, bœufs et agneaux sans oublier les fromages, œufs et volailles en tous genres que tant de bouches enfantines ânonnent avec ou sans délice. Mais il est aussi, ne l’oublions pas, un fameux conteur. Et parmi ses contes, il en est des plus galants et grivois que d’autres, les célèbres contes érotiques et licencieux qui lui valurent en son temps les déboires de la censure mais le soutien des salons. Ceux-là mêmes dont s’est emparé Jean-François Novelli pour notre plus grand bonheur de découverte ou de retrouvailles.
Une très belle idée que ce spectacle d’une superbe qualité musicale et d’une drôlerie câline et coquine aux charmes fous des sous-entendus explicites. Paré de l’élégance du texte et de la fichue bonne musique de Antoine Sahler, mélodieuse et rebondissante, malicieuse et chaleureuse, Jean-François Novelli brille de sa plus belle voix qu’il sait rendre puissante ou filante, doucereuse ou acide, souvent caressante et toujours complice.
Son talent ne s’arrête pas au chant lyrique, il nous montre une facette de comédien qu’il ajoute avec justesse et précision à sa palette de jeux piqués de pointes burlesques aux accents clownesques. Les textes de La Fontaine ressortent sans faille ni faiblesse tant la compréhension est rendue aisée et accessible par sa diction claire, parlée comme chantée.
Doit-on toute cette fine espièglerie entourloupante à la mise en scène de Juliette ? J’en mettrais bien ma main au feu et je parierais volontiers oui ! L’ensemble est très adroit, roublard et précis, bourré d’humour et de dérision. C’est très bien fait, c’est mouche à chaque touche et ça vient nous cueillir sans coup férir.
Ce spectacle musical original est d’une très nette qualité artistique. Le choix de ses morceaux choisis, aussi croustillants que savoureux, le rend captivant et drôle, riche en découvertes et plaisant du début à la fin. Un spectacle croustilleux à ne surtout pas manquer.
Spectacle vu le 8 octobre 2021
Frédéric Perez
Un spectacle de et avec Jean-François Novelli d’après Jean de La Fontaine. Mise en scène de Juliette. Musique de Antoine Sahler. Lumières de Philippe Olivier dit Luigi. Au piano : Nicolas Royez ou Romain Vaille.
Jusqu’au 30 octobre
Les vendredis et samedis à 21h00
3 rue des Déchargeurs, Paris 1er
01.42.36.00.02 www.lesdechargeurs.fr