Un spectacle magnifique aux atours féériques, qui nous invite à franchir le seuil du raisonnable pour nous laisser prendre par ce mystérieux et éblouissant conte de vie. Un univers qui relève du merveilleux où le bonheur se cache pour nous surprendre tout à coup et à chaque fois, par des situations improbables et pourtant... et par des propos et des postures de personnages bien présents. L’ensemble est truffé de surprises souvent drôles, enveloppées d’éclats de bruit, d’objets qui s’envolent, de touches de couleurs, de douceurs caressantes et d’émotions touchantes, qui nous emportent au pays de l’illusion.
« Un ami imaginaire de près de 2 mètres de haut ? Lorsqu’Elwood prétend être accompagné de son camarade Harvey, un lapin invisible à taille humaine, bon nombre de ceux qu’il croise prennent la fuite, au grand désespoir de sa sœur et de sa nièce. Qui est cet étrange ami ? »
La pièce alterne une dérision insidieuse et récurrente, toujours joyeuse mais parfois cruelle, avec un décalage peu à peu invasif qui finit par brouiller tout à fait les repères du réel. C’est alors que nous savons que nous sommes passés de l’autre côté. Sommes-nous devenus fous comme ces personnages qui ne le sont peut-être pas, ou simplement et benoitement les naïfs émerveillés de ce conte formidable qui répand tout le long comme une ode à l’altérité bienveillante, à l’évidence de l’autre quel qu’il soit comme un être à part entière avec ses rêves, ses désirs et ses espérances… Qui est fou ?
Les multiples quiproquos conduisent la raison à laisser place à une forme aboutie de poétique de la folie douce et créent tout cet univers mystérieux, fantasque, loufoque et coloré qui enjambe les normes et nous emporte dans cette histoire qui convoque le lâcher-prise pour nous plonger dans l’imaginaire.
Cette pièce bouscule nos propres certitudes mentales, nos habitus de pensée et de bienséance. L’argument et ses rebondissements malmènent notre rapport à la norme, à la soumission au pouvoir et à la loi du plus fort. L’imaginaire déraisonne à son tour, comme un rêve éveillé ou un jeu d’enfant et s’habille des désirs profonds de jongler avec la fiction et de jouer avec la réalité, pour la rendre plus belle, trempée de poésie et baignée de burlesque.
La mise en scène de Laurent Pelly est d’une richesse délicate et subtile, jouant sur les ruptures de liens qui retiennent l’attention formelle et instille la magie du doute irraisonnable et bienfaisant, prenant de court le spectateur avant qu’il ne réfléchisse trop. Une mise en scène soignée et travaillée dans une somptueuse et astucieuse scénographie de Chantal Thomas, qui renforce l’efficacité et permet de composer avec précision des jeux quasi chorégraphiés, parfois façon cartoon, que la troupe de comédiennes et de comédiens, tous littéralement brillants sert avec superbe. Jacques Gamblin est tout simplement magistral. Il donne au personnage de Elwood une présence lunaire dont se dégage une gentillesse empathique qui nous le rend proche, si proche qu’on l’élirait aussitôt comme un ami cher.
Oui, c’est un conte de vie que ce spectacle merveilleux qui en impose par les mystérieux et bienfaisants effets qu’il produit sur le public cueilli dès le début et suspendu d’attention jusqu’à la fin. On en sort heureux, c’est fou non ? Je recommande vivement ce spectacle !
Spectacle vu le 18 janvier 2022
Frédéric Perez
De Mary Chase. Traduction de Agathe Mélinand. Mise en scène et costumes de Laurent Pelly. Scénographie de Chantal Thomas. Lumières de Joël Adam. Musique de Aline Loustalot. Assistance à la mise en scène de Grégory Faive.
Avec Pierre Aussedat, Charlotte Clamens, Thomas Condemine, Emmanuel Daumas, Grégory Faive, Jacques Gamblin, Katell Jan, Agathe L’Huillier, Lydie Pruvot et Kevin Sinesi.
Jusqu’au 22 janvier à 20h30
13 rue des réservoirs à Versailles
01.39.20.16.00 www.theatremontansier.com