ÉTIENNE A. au théâtre La Scala Paris

Du théâtre social à visée politique comme on aime, qui propose au travers de l’histoire d’Étienne A. une description de la condition humaine des innombrables gens réduits à se soumettre à l'exploitation par le travail. Ce travail dont la rareté fait loi, où la pression est permanente quitte à oublier de vivre.

Florian Pâque écrit et met en scène une nouvelle fois un texte brulot dans une approche dramaturgique qui majore la force de sa peinture par une poétique de l'énonciation parmi des éléments « de bric et de broc ». Un message puissant.

« Étienne A., 31 ans, termine son service de nuit à l’entrepôt Amazon de Saran, rentre chez lui dans sa Citroën ZX Tonic et, comme tous les jours quand il s’endort, rêve de cartons à expédier. Son père a un problème à la hanche. Son ex-femme travaille chez Patàpain. Son fils joue à cache-cache sous la plateforme de la voie d’essai de l’aérotrain. Et en cette nuit de Noël, alors qu’ailleurs on termine la bûche et on ouvre ses cadeaux, Étienne A. s’offre, pour la première fois, l’occasion de rêver sa vie autrement : il entre dans un carton de l’entrepôt, s’y enferme et attend d’être expédié ailleurs. »

Un récit qui sublime par la transgression du fait théâtral le mal de vivre auquel il ne sera pas question de céder. Quel qu’il soit, quoi qu’il advienne. La description de cet homme oublié parmi les autres, dans son contexte de vie et la transformation de son cheminement, est écrite avec précision dans une langue énergique et percutante, exaltée même, qui est aussi teintée d’une douceur tendre. En filigrane, un sous-texte poignant se rappelle à nous en permanence par touche et par bouffée.

« Un comédien, neuf personnages. Une scène, dix espaces. Des cartons, une histoire. » écrit l’auteur dans la présentation de sa pièce. Est-ce cela qui résume la vie d’Étienne A. ? Cela sera-t-il suffisant pour dire la normalité du quotidien qui se répète et qui lasse tant elle est insignifiante ? Ce quotidien meurtri et prescrit des gens privés de toute force, démunis du pouvoir de changer les choses.

Peut-être mais pas que...

Car Étienne A. emprunte une voie latérale, celle de l’imaginaire salvateur de la révolte tue qui sourde. Il va exercer la seule liberté qui lui reste et qui ne peut lui être ôtée. La liberté de pensée. La liberté de penser son rêve de meilleur ailleurs. Le chiche de prendre la tangente, de réussir son échappée d’une vie qu’il ne peut se résoudre à fondre dans l’anonymat.

La mise en scène centre l’attention sur le jeu, guidant le comédien dans ce flux de colères et de dénonciations qui se décharge peu à peu et se meut en un autre possible, ouvrant les fenêtres pour tenter un envol vers le bonheur ou l’oubli.

Nicolas Schmitt est impressionnant, radical et redoutablement efficace grâce à sa large palette d’émotions. Il puise pour son interprétation la puissance et la fragilité qui conviennent pour dépeindre avec justesse le récit d’Étienne. Un jeu qui selon les étapes de ce périple formidable prend des atours denses ou frêles, vibrants ou ténus, toujours chargé d’une humanité qui nous explose au visage. Il se dégage de ce personnage incarné avec brio une sincérité de vie convaincante qui vient tout près nous parler d’essentiel.

Une histoire prégnante au récit captivant. Une pièce qui aiguise notre acuité à reconnaitre les maux sociaux tels qu’ils sont, en convoquant notre conscience. Un spectacle intrusif et merveilleusement écrit. Une interprétation riche et superbe. Un spectacle à voir toute affaire cessante.

Spectacle vu le 27 mars 2022

Frédéric Perez

Écrit et mis en scène par Florian Pâque. Scénographie de Marlène Berkane. Création lumières de Juliette Romens. Création sonore de Clément-Marie Mathieu. Graphisme de Jérémy Vitté.

Avec Nicolas Schmitt.