Un spectacle comme une ode au théâtre et un hommage à une grande comédienne. Un moment d’importance par lequel Gil Galliot montre respect, amour et dévouement à cet art du vivant et honore cette grande dame du théâtre, Bérengère Dautun, en lui écrivant un rôle magnifique.
« Edwige, professeure de théâtre, dirige une jeune actrice dans Phèdre. On s’aperçoit rapidement que Phèdre a eu une implication dans la vie privée d’Edwige. Un secret dont elle sera obligée de se délivrer. Dans un jeu de miroir permanent — hanté par un souvenir douloureux — les deux actrices naviguent entre le Réel et son Double… »
La découpe singulière du texte nous transporte vers des ailleurs multiples, de passés probables en présents incertains. Sommes-nous au théâtre ici et maintenant ? Oui sans aucun doute même si et parce que, ballotés entre souvenirs enfouis et pensées conscientes, ce temps de théâtre étourdissant par ses éclats mystérieux nous trompe, nous suggère, nous trouble.
Un enchevêtrement complexe de fils narratifs comme un labyrinthe dans lequel il faut se laisser perdre, où des éléments fictionnels côtoient des éléments du réel, où des faits biographiques, flash-backs de l’apprentissage et de la jeunesse fusionnent avec des approches romancées illustrant la vie personnelle. Les insertions de l’intime dans la parole dite éclairent le récit tout le long. « à quoi sert de jouer au théâtre un rôle qui pourrait être soi-même » ?
Un texte aux nombreuses imbrications, qui n’est pas sans nous poser questions.
Le théâtre, reflet imagé, miroir inversé, que charrie-t-il de la réalité ? Que nous montre-t-il de l’humain ? Un calque implacable flouté ou grossi d’instants de vérité ? Une illusion ombrée et éphémère qui enveloppe les désirs ? Un fantasme imagé qui rejette au loin le risque de peines ?
Et pour l’interprète, dans quels puits fouiller pour trouver la vraisemblance du personnage à incarner ? Dans son histoire personnelle ? Dans son imaginaire ? Est-ce invention, fabrication ou restitution que tout cela ? Peut-être un peu de ci, un peu de ça. « Le théâtre est donc ceci et cela » ? Laurent Terzieff avait raison.
Coïncidence, concordance ou synchronicité, de quelle simultanéité s’agit-il ici ? Hasard ou volonté de mélanger les chemins, pourquoi Edwige a résisté ? Pourquoi Phèdre et pas Psyché ou Médée ? Le saurons-nous enfin ?
Bérengère Dautun est un comédienne impressionnante, imposante et attachante. Le théâtre brille dans ses yeux, vibre dans son corps. Par sa diction reconnaissable qui peut être hachée et tranchante ou filante et suspendue, ses mots se font caresses de l’écoute. Ses mouvements, toujours justes, s’approchent tout près et deviennent baisers du regard. Quel que soit le personnage qu’elle incarne, et celui-ci ô combien, mademoiselle Dautun nous saisit et nous installe dans son récit, dans son flux d’émotions que nous nous approprions aisément.
Clara Symchowicz se révèle une merveilleuse comparse. Elle donne aux personnages de l’élève-comédienne une fougue et une exigence passionnée à bien faire, et à celui de la meilleure amie une bienveillance crédible. Mademoiselle Symchowicz vient compléter avec vigueur et justesse le duo-duel qui se joue devant nous.
Un moment de théâtre troublant. Un texte riche. Une interprétation impressionnante et captivante.
Spectacle vu le 7 mars 2022
Frédéric Perez
Texte et mise en scène de Gil Galliot. Bande-son de Pascal Lafa. Lumières de Gil Galliot et Alfred Levy.
Avec Bérengère Dautun et Clara Symchowicz.
Les lundis à 19h00 et les mercredis à 21h00
78 bis boulevard des Batignolles, Paris 17ème
01.42.93.13.04 www.studiohebertot.com