Un spectacle fait d’émotions ténues et de sensations prégnantes. Une belle et curieuse histoire d’amour. Comme un jeu permanent fait d’impossibles rencontres, d’interdits d’assouvir le désir de se voir enfin, de se regarder, de se toucher et de consommer cette complicité à l’intimité tue, qui semble aussi loin qu’elle ne parait pourtant proche et accessible, chacun au bout d’une ligne téléphonique.
« Paris, au crépuscule. Dans la ville qui s’éteint une voix s’élève, racontant l’histoire d’un homme qui, par désœuvrement, compose des numéros de téléphone non attribués dans l’espoir d’entendre enfin une voix de femme. C’est le début d’une histoire d’amour qui s’étale sur trois ans. Au fil des conversations, la personnalité de la femme s’esquisse. Elle a vingt-six ans, elle est leucémique. Elle donne rendez-vous à son correspondant, mais ne s’y rend pas… »
Inspiré d’une histoire vraie, Marguerite Duras écrit un récit fébrile et lancinant à la fois. Un texte qui dépeint la souffrance du manque, la douleur de l’attente qui se transforme peu à peu en espoir d’amour pur et entier, unique et rédempteur. Serait-ce le fantasme d’un amour désiré comme un appel à la vie, la quête de conjuguer deux solitudes pour vivre enfin sa part de bonheur ? Que cette histoire est troublante, faite de réalités fantasmées et d’espérances déçues mais si belles d’avoir été vécues, ressenties, approchées.
La mise en scène de Frédéric Fage sert subtilement le texte de Duras et lui donne tous les éclats de la nuit, ses zones d’ombres et de désirs, ses hésitations entre le possible et sa transgression, comme les oscillements de la gîte d’un navire la nuit, dont le cap est incertain mais le naufrage probable. La tension du mystère de cette rencontre est là, en permanence à nous défier, à nous suspendre au résultat que nous devinons irréaliste.
La scénographie de Georges Vauraz, la vidéo de Pétronille Leroux et les lumières de Denis Koransky installent l’univers nocturne qui convient, suggestif et impressionnant. L’ensemble est magnifiée par la musique de Mathieu Rulquin, enveloppante, jouée au piano par Roland Conil aux cotés des deux comédiens, nous offrant une sorte de symphonie concertante qui colore la narration d’une poétique de l’imaginaire troublante et touchante.
L’interprétation de Maroussia Henrich et Lorenzo Buttigieg est sensible, inspirée et complémentaire. Ils ne se regardent pas, le fil narratif ne le rend pas possible, mais ils sont bien là, ensemble. L’engagement et la délicatesse s’allient avec une redoutable efficacité.
Un merveilleux spectacle. Une esthétique soignée, une beauté évidente. Pour le texte toujours envoûtant et intrusif de Duras, pour sa mise en vie réussie et pour son interprétation remarquable, à voir sans hésiter.
Spectacle vu le 14 juillet 2022
Frédéric Perez
Un texte de Marguerite Duras. Mise en scène de Frédéric Fage. Scénographie de Georges Vauraz. Lumières de Denis Koransky. Musique de Mathieu Rulquin. Vidéo de Pétronille Leroux.
Avec Maroussia Henrich et Lorenzo Buttigieg. Au piano, Roland Conil.
Jusqu’au 30 juillet à 18h00
(relâche le mardi)