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Nous voici embarqués dans un voyage en eaux profondes dans les mers houleuses de la planète Dubillard. Intime et impudique autant que criard et explosif, ce périple est tourmenté et impressionnant. Des vagues de hargne et de colère, des jets d’angoisse, des flux de provocations amusées et de magnifiques morceaux de poésie espiègle à la fulgurance doucereuse viennent tout à tour se poser sur notre cheminement.
« Je ne suis pas de moi n’est pas une biographie de Roland Dubillard mais une tentative d’exprimer la rébellion qui se dégage de son journal. Nous avons disséqué ’’cette vie de mots’’ en quatre séquences qui respectent les étapes décisives de son existence : l’enfance, l’âge adulte, la chute et la survie après l’accident. La révolte de Dubillard nous rappelle nos méandres actuels : est-il possible de se confronter au monde sans béquille, sans pacotille, et de vivre malgré tout ? Comment retrouver la joie de s’étonner de tout. Mais avec tout cela, on n’est jamais tranquille car ’’qui bien se connaît ne se porte pas forcément bien.’’ »
Une insubordination quasi guerrière jamais résignée et toujours attentive aux rebonds de la dérision court sur les interrogations et les angoisses de l’auteur sur lui-même, sur la création, l’écriture et le théâtre notamment. Un grandiose et disparate délire autoguidé que voilà. Le dramaturge pose dans ces Carnets en marge ses considérations et ses doutes, sa fragilité et sa douleur aussi, avec un incommensurable humour ravageur et cynique. Le fil narratif se découpe façon puzzle, glissant du burlesque parfois pervers à la fantasmagorie surréaliste en passant par l’introspection troublante.
Le parti pris d’adaptation et de mise en scène de Maria Machado et Charlotte Escamez nous confronte à l’auteur et son double ou peut-être à un double énoncé d’auto-récit, en nous perdant volontiers dans des méandres sombres ou lumineux, silencieux ou bruyants, faits de murmures et d’éclats, de déplacements lents ou de bondissements soudains. Un homme (Denis Lavant) et un jeune homme (Samuel Mercer) pour faire vivre deux faces de Roland. Miroirs inversés, images fuyantes et amalgames déroutants.
Denis Lavant nous stupéfait à nouveau de son jeu intense et profond, nous éblouissant de son espièglerie et de sa confondante vérité qui sait venir nous toucher, nous surprendre et nous emporter dans ce texte au naturalisme irréel. Samuel Mercer se fait plus sage, plus effacé, comme un pendant de tonalité mineure dans une sonate à deux voix où Denis Lavant jouerait en mode majeur.
Un spectacle comme une traversée poétique et ravageuse dans l’univers de Dubillard. Inattendu et captivant. Une interprétation impressionnante.
Spectacle vu le 1er décembre 2022
Frédéric Perez
D’après les Carnets en marge de Roland Dubillard. Un spectacle conçu et mis en scène par Maria Machado et Charlotte Escamez assistées à la mise en scène par Eugénie Divry. Création Lumière de Jean Ridereau. Création sonore de Guillaume Tiger. Vidéo de Maya Mercer. Costumes de Agnès B.
Avec Denis Lavant et Samuel Mercer.
Du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 15h30
53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 6ème
01.45.44.57.34 www.lucernaire.fr