Nicolas Briançon excelle à nouveau dans l’art du théâtre de plaisir, servant avec finesse et élégance, décontraction et enthousiasme, cette pièce culte de Jean Poiret, devenue un pur classique de ce genre savoureux qu’est le « boulevard ». Venant logiquement à la suite du vaudeville, ce fleuron du théâtre comique populaire montre ici ses plus belles lettres de noblesse, au rang de celles illustrées par Courteline, Feydeau, Guitry, Roussin ou autres Barillet et Gredy.
« Alors que son épouse s’est absentée pour le week-end de Pâques, Stéphane invite une jeune femme à prendre un dernier verre chez lui. Sophie, sa femme, rentre plus tôt que prévu et les surprend ensemble à une heure tardive. Dans la précipitation de ne pas se faire démasquer, il lui annonce que la belle Julie n’est autre que sa fille issue d’un précédent mariage dont il lui a caché l’existence. De là, de mensonges en inventions, avec la complicité de Julie, il brode un passé rocambolesque… au risque que la situation lui échappe complètement ! »
Briançon s’empare de cette pièce avec gourmandise et la porte aux rires du public dans une ambiance de mondanité un rien classieuse, avec la décontraction pince-sans-rire propre à l’auteur et aux souvenirs de l’acteur qu’il fut. Briançon s’inscrit dans la lignée des grands metteurs en scène et cinéastes qui s’y sont colletés avant lui. Mission réussie, gageure relevée et pari gagnant !
On rit donc, on fou-rit aussi (comment résister aux prestations quasi clownesques de Dominique Frot !), on sourit tout le temps et on prend pleine face ces élucubrations grinçantes qui égratignent la masculinité bienpensante d’une bourgeoisie insolente et gavée de prétentions. Celle qui confond vouloir et pouvoir jusqu’à se vautrer dans ses rodomontades devant une gente féminine qui ne s’en laisse pas conter.
Si le texte est truffé de mots d’auteurs, d’intrigues et de rebondissements a volo, il ne nous épargne pas une dénonciation sociale à la limite de la satire bien sentie sur la place laissée aux femmes dans la société fut-elle haute ou commune.
La mise en scène de Nicolas Briançon est comme toujours d’une savante facture et d’une incroyable évidence. Le dynamisme nécessaire à la folie ambiante des situations est bien là. Les propos et les actions se bousculent de mensonges en déconvenues, de prétextes en flagrants délits sur un rythme savoureusement soutenu qui maintient toutefois les suspensions nécessaires et les tableaux hilarants tâtant du burlesque.
L’esthétique d’ensemble est délicieuse et totalement adaptée à ce type de divertissement. Une beauté réaliste directe. Ici, pas de place à l’inutile ou à la suggestion. Tout est fait pour que le texte jaillisse et ravage sans détour. Du décor de Jean Hass assisté de Bastien Forestier aux costumes de Michel Dussarat assisté de Aimée Blanc en passant par les lumières de Jean-Pascal Pracht, la musique de Gérard Daguerre tout comme les maquillages et les coiffures de Michelle Bernet, rien n’est laissé au hasard pour restituer l’univers avec une justesse et un appoint soignés et efficaces.
La direction des jeux renforce la valeur de tous les personnages qui apportent tour à tour leur contribution aux nombreux rebondissements, et que Poiret a campé avec précision. L’interprétation est formidable. Les artistes au plateau semblent s’amuser autant que nous. Nicolas Briançon est épatant dans son innocence feinte sous des postures bravades et narquoises. Alice Dufour, délicieuse ; Gwendoline Hamon, pêchue et touchante ; Claire Nadeau, truculente ; Dominique Frot, hilarante. Et Muriel Combeau, Raphaël Dulery, Pascal Elso, impeccables.
Un spectacle digne des meilleurs moments du théâtre de boulevard. Un divertissement aux charmes fous des années 80, au gout sucré du rire élégant et gourmand. Un « classique » du boulevard à déguster avec délectation.
Spectacle vu le 22 février 2023
Frédéric Perez
De Jean Poiret. Mise en scène de Nicolas Briançon assisté de Mathilde Penin. Décor de Jean Hass assisté de Bastien Forestier. Costumes de Michel Dussarat assisté de Aimée Blanc. Lumières de Jean-Pascal Pracht. Musique de Gérard Daguerre. Maquillage et coiffure de Michelle Bernet.
Avec Nicolas Briançon, Muriel Combeau, Alice Dufour, Raphaël Dulery, Pascal Elso, Dominique Frot, Gwendoline Hamon et Claire Nadeau.
Du mardi au samedi à 20h, matinées samedis et dimanches à 15h
Carré Marigny, Paris 8ème
01.86.47.72.77 www.theatremarigny.fr