Ce spectacle est une charmante fantaisie d’amour aux allures d’un conte où les sirènes des souvenirs viennent interroger les arcanes du destin. L’univers de Jean Anouilh est bien là. Nous retrouvons avec délice son style poétique aux dialogues acérés et au langage élégant, tamisé d’une réflexion sous-jacente à l’allégorisme symbolique marqué, fleurant bon l’onirisme fantastique de l’ingénuité et de l’absurde.
« Amanda, jeune ouvrière de la rue de la Paix, arrive au château de Pont-au-Bronc pour chercher du travail, mais c’est un rôle de « souvenir » que lui propose la maîtresse des lieux, la Duchesse d’Andinet d’Andaine. Son neveu le Prince sombre dans la mélancolie depuis la mort de son grand amour, la cantatrice Léocadia Gardi… Mais que peut une petite modiste face à l’ombre de cet amour perdu ? »
Créée en 1940, « Léocadia » ponctue le quatrième opus des « Pièces Roses » qui débutent son œuvre dramaturgique prolifique et qui dépeignent particulièrement la thématique amoureuse et le jeu sur les sentiments. Et déjà, ce fil conducteur qui survole et plonge parfois en piqué dans toute son écriture sur ces personnages qui témoignent peu ou prou de leur révolte voire de leur détresse sur la condition humaine. Velléité récurrente qui s’exprime par l’émotion, la violence, la tendresse ou le burlesque, dans une langue croustillante et délicate, saillante et colorée qui tâte volontiers de l’extravagance et qui s’enveloppe d’une poésie théâtrale singulière qui lui est propre.
David Legras adapte et met en scène ce texte merveilleux en montrant tous ses atours fantastiques charriant l’excentricité dans une narration légère et drôle, teintée de burlesque par moments. Les personnages évoluent sur un carrousel, l’imaginaire tourneboule ainsi de scènes en scènes cadencées par les scansions du narrateur s’adressant au public. Le méta théâtre si cher à Anouilh est ici bien présenté, le narrateur commente et fait apparaitre les situations en tournant le manège pour illustrer ses propos. Une subtilité scénographique qui sert la dramaturgie de la pièce et qui renforce cette dimension surnaturelle et si proche à la fois, à la manière des histoires et légendes contées aux enfants. C’est très bien vu et bien fait.
Les personnages haut en couleur et en tendresse sont interprétés dans l’ensemble avec une vive ardeur et de jolies nuances.
Dans son rôle de narrateur, David Legras est superbe, empathique et complice à souhait. Valérie Français est toute en élégance, drôle et truculente, une remarquable et savoureuse Duchesse. Axel Stein-Kurdzielewiez est Germain, le majordome de la Duchesse, un succulent auguste clownesque, fait de naïveté et de fantasmagorie. Drys Penthier compose Monsieur Souvenirs avec une assise solide et convaincante contribuant au contrepoint de l’ambiance éthérée quasi vaporeuse qui l’entoure. Camille Delpech nous offre une Amanda gracieuse, délicate et touchante devenant troublante et lumineuse dans l’émoi amoureux. On imagine, en écoutant le texte, le personnage du Prince dérouté et meurtri par l’amour empêché, vibrant d’impatience vaine à la recherche de ses souvenirs. Puis, sortir peu à peu de sa solitude en passant de l’ombre à la lumière par la grâce de l’amour retrouvé. Un personnage magnifiquement écrit et sans doute difficile à jouer.
Un spectacle agréable. Porté par un texte magnifique et une mise en vie habile et originale. Doté de jeux pour la plupart remarquables.
Spectacle vu le 25 février 2023
Frédéric Perez
De Jean Anouilh. Mise en scène et scénographie de David Legras. Collaboration artistique de Camille Delpech. Création lumières de Laurent Foiny. Costumes de Jérôme Ragon. Composition musicale de Laurent Labruyère.
Avec Camille Delpech, Valérie Français, David Legras ou Jacques Poix Terrier, Drys Penthier, Emilien Raineau et Axel Stein-Kurdzielewiez.
Les samedis, dimanches et lundis
(horaires sur le site du théâtre)
53 rue des Saules, Paris 18ème
01.42.23.88.83 www.funambule-montmartre.com