Rude et impressionnante plongée dans ce huis clos brutal et détonnant où une mère et sa fille s'opposent dans une relation perverse et mortifère.
« Dans un village perdu de l’Irlande, Mag, vieille femme abimée et tyrannique, retient auprès d’elle sa fille Maureen, célibataire, rêvant d’une autre vie, de liberté et d’amour. Toutes les deux s’affrontent dans une guerre sans merci. Jusqu’au jour où le jeune May leur annonce l’arrivée de son grand frère Pato… »
Elle a pourtant déjà fêté ses quarante ans, Maureen. Pourquoi est-elle donc restée à la maison, elle, seule de la fratrie à s'occuper de sa mère Mag ? D'où vient cet état de dépendance à sa mère, certes âgée et d'apparence impotente ? Un amour-haine fusionnel transformé en soumission, sorte d'esclavage auto imposé ou otage d'une redevance ? Et Mag, que cherche-t-elle à protéger en coupant ainsi les ponts qui relient sa fille au reste du monde ? Sa quiétude à elle ou une forme de cocon qui les emprisonne toutes les deux ?
L'auteur Martin McDonagh dresse le tableau étrange et proche d'une microcellule familiale isolée dans un village et dans la vie. Deux femmes qui prennent soin de se larder l'une l'autre de scarifications affectives, psychologiques et physiques, avec une violence inouïe. Le texte cru et cruel, piqué d'humour noir, porte haut les paradoxes tensionnels intrafamiliaux. Frustrations et privations se côtoient. Tentatives d'émancipation, emmurements sournois et maléfiques se confrontent tout le long. Maureen parviendra-t-elle à atteindre l'impossible rêve d'un avenir meilleur qui lui permettrait de s'extraire de l'enfer familial ? Quel prix est-elle prête à payer pour cela ?
Les deux personnages masculins, Pato le grand frère et Ray le plus jeune, viennent étayer les situations d'opposition et leur apportent des contrepoints. Pato fait chanter l'espoir et espérer la victoire de la fin du combat entre Mag et Maureen. May, à l'opposé, tire vers le bas, piètre et sinistre messager du désespoir et du renoncement.
Les quatre comédiens Marie Burkhardt (Mag), Angélique Kern Ros (Maureen), Maxime Peyron (Ray) et Alexandre Simoens (Pato) montrent puissance et fragilité dans leurs jeux. À bon escient et toujours de façon nuancée et complémentaire. Un quatuor crédible et convaincant, des comédiens qui incarnent avec force et sensibilité. Remarquable.
Nous retrouvons avec gourmandise et délectation les caractéristiques des univers trash et sombres, traités sans concession par le collectif Naceo. Olivier Sanquer choisit à nouveau l'épure pour dessiner et profiler les contours des situations et mettre en exergue les personnages, les tensions de leurs échanges et l'ironie cinglante de leurs mots. Quatre chaises, une bassine, un tisonnier et deux palettes de chantier comme simples éléments scénographiques pour illustrer ou ligner les situations. Une bande son particulièrement efficace vient appuyer ou accentuer le poids de la narration. Une mise en lumière judicieuse contribue à créer l'atmosphère cynique et prégnante qui se dégage et règne. Redoutable et implacable mise en vie.
Une pièce coup de poids. Un spectacle brillant. Une interprétation réussie. Un incontournable du festival.
Spectacle vu le 3 juillet 2024
Frédéric Perez
De Martin McDonagh. Mise en scène de Olivier Sanquer.
Avec Marie Burkhardt, Angélique Kern Ros, Laurent Mere en alternance avec Alexandre Simoens et Maxime Peyron.
12h50 - relâche les lundis
https://www.festivaloffavignon.com/spectacles/4983-la-reine-de-beaute-de-leenane