LA NUIT OÙ LAURIER GAUDREAULT S'EST RÉVEILLÉ au théâtre Tristan Bernard

Un spectacle impressionnant. Un texte subtilement écrit. Des personnages dessinés avec finesse et complexité, incarnés ici avec une efficacité remarquable.

« Mireille, thanatopractrice réputée, revient dans sa ville natale pour embaumer le corps de sa défunte mère. Elle y retrouve ses trois frères qu’elle a fuis trente ans plus tôt. Un retour qui va raviver les fantômes du passé. Qu’a-t-il pu arriver pour que cette famille unie se brise ? Leur rédemption passera par la vérité. La vérité sur la nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. »

Michel Marc Bouchard est sans nul doute un de nos plus grands dramaturges contemporains, qui compte absolument parmi mes préférés. Il signe ici une pièce captivante à l’instar de Tom à la ferme ou Les feluettes que nous avions adorées. Bouchard n’a pas son pareil pour créer des personnages complexes et entiers à qui il confère une profondeur parfois inattendue.

La structure dramaturgique repose ici sur le principe du mystère à clé. Fausses pistes, confidences et rebondissements viennent nourrir le cheminement labyrinthique de la narration. L’écriture privilégie une approche théâtrale psychologique. Ce drame familial nous interroge sur la force des liens fraternels devant le risque, le danger ou le doute. Sur l’acceptation de la différence. Sur les réactions face à la fin de vie.  Les moments les plus marquants sont façonnés par les personnages placés devant la mort en faisant de la préparation du corps de la mère l'action principale, à laquelle tous les membres de la famille participent. Le récit est traversé tout le long par le deuil blanc puis le décès de la mère, qui génèrent un désir profond de vérité et de réconciliation, quelle qu’en soit l’issue.

La mise en scène de Didier Brengarth travaille les scènes réalistes et les passages éthérés de souvenirs ou d’apartés avec un naturalisme bienvenu pour laisser venir intacte, la puissance émotionnelle des propos ou la légèreté produite par leur humour.

La distribution est brillante. La complémentarité des personnages est parfaitement rendue. Gaëlle Billaut-Danno donne une fragilité discrète au rôle délicat de Mireille. Marie Montoya tonne dans le rôle de la belle-sœur qui se cache derrière un flux de paroles et d’explosions tonitruantes. Margaux Van Den Plas, l’assistance thanatopractrice, apporte une fraicheur apaisante et agréable au sein de cette fratrie qui s’affronte. David Macquart, Benjamin Penamaria et Julien Personnaz s’emparent à bras le corps des trois frères avec les nuances qui conviennent à cette palette d’intensité de colères sourdes ou violentes, d’incompréhensions meurtries et de malaises profonds.

Une pièce intense et passionnante. Une mise en vie prégnante. Un spectacle mémorable. Je conseille vivement.

Spectacle vu le 17 septembre 2024

Frédéric Perez

De Michel Marc Bouchard. Mise en scène de Didier Brengarth. Assistanat à la mise en scène de Stéphanie Froeliger. Scénographie de Olivier Prost. Création lumières de Mathieu Courtaillier. Costumes de Mathieu Crescence. Création visuelle de Mathieu Courtaillier et Didier Brengarth. Conception sonore de Antoine Daviaud.

Avec Gaëlle Billaut-Danno, David Macquart, Marie Montoya, Benjamin Penamaria, Julien Personnaz et Margaux Van Den Plas.