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Ah ça mais je dois le dire, je venais voir ce spectacle avec une impatience gourmande. Si si ! Retrouver le travail de Frédérique Lazarini et son équipe était une attente, un gage de délice annoncé. Et cette fois-ci encore le plaisir de la découverte est satisfait.
« Un riche commerçant, Monsieur Perrichon, sa femme et leur fille Henriette partent pour la première fois en train vers Chamonix, suivis – quel heureux hasard – par deux jeunes gens, Daniel et Armand, tous deux intéressés par la main de la demoiselle. Commence alors, entre les deux hommes, une lutte aussi bienveillante qu’acharnée pour séduire le père dont la vanité et l’ingratitude si comiques seront mises à l’épreuve du voyage. »
Frédérique Lazarini nous enchante avec ce magnifique “Voyage de monsieur Perrichon”, drôle et vivace, d'une fraîcheur bienfaisante, qui ravit le public et semble réjouir tout autant les artistes au plateau. Sa mise en scène se révèle d'une originalité espiègle, attractive et spectaculaire.
Le récit court sur un rythme soutenu et avec une énonciation parfois scandée, prenant souvent l'aspect d'un surréalisme lyrique célébrant le burlesque de la partition et surtout l'absurde si cher à Labiche. Le texte est toujours donné avec une précision claire et sans ambages pour ne rien laisser perdre, ce qui essentiel chez Labiche. Son univers est bien là. Le plaisir est dû au texte qui nous le savons, prévaut toujours aux situations chez lui quand bien même celles-ci peuvent être truculentes et irrésistibles de drôlerie.
Comme ces déplacements et ces postures des personnages qui empruntent par moments effrontément à la joie enfantine et à celle de patauds (il faut voir les comédiens pendant les changements de décor à vue marchant au pas militaire tout en regardant le public, sourires aux lèvres comme pour le défier). Certaines scènes semblent tâter de la pantomime, à l'image du cinéma muet ou du tout début du parlant, d’autres colorées d’une agitation soudaine pouvant conduire les personnages à sauter sur leurs pieds, ou d’autres encore les montrant faire joyeusement quelques pas de danse.
Le comique rieur se répand tout partout mais pas que. Mademoiselle Lazarini a réfléchi à son approche et ne se contente pas de faire éclater les rires ou faire sourire les chalands que nous sommes. Il y a dans son travail et celui de son équipe un second degré qui ne dit pas son nom et qu’il devient savoureux d’apprécier quand nous y prenons garde.
Nous voyons bien grâce à ce parti pris comment Labiche n'a de cesse d'épingler les bourgeois et pourfend de flèches acérées leurs prétentions vaniteuses et leur orgueil poussé à l'extase. Certes. Mais regardons aussi combien la peinture de ses semblables dont il est lui-même issu lui permet d'astiquer l'identité de celles et de ceux qui ne semblent exister que pour l'image sociale renvoyée, au risque de se vautrer dans l'exagération. Ne voit-on pas alors apparaître comme une sublimation souvent inconsciente d’une toujours plus belle image de soi recherchée, fidèle aux préceptes de la culture d'appartenance et aux prescriptions familiales qui les perpétuent ? Tout comme ce magnifique dilemme de l'échange du don et de sa dette, pas innocent non plus ce message Labichien. La bonté revisitée par la reconnaissance travestie d’une générosité d'apparat. Singulière autosatisfaction que voilà d’un d'orgueil qui malgré tout sera outragé par l'humiliation.
Les personnages poussés jusqu'à la caricature deviennent ainsi, comme c’est bien fait, les marionnettes d'un jeu de dupes permanent, enfermés dans un théâtre d'illusions ou le désir du merveilleux affronte le calcul de la réussite. C'est en s’emparant de ce théâtre de texte et en l’exposant à mille rodomontades, assorti de parties musicales et chantées que la mise en vie de cette pièce devient lumineuse d’intelligence et de drôlerie. Le rire devient pathétique et les larmes pourraient survenir si la volonté de l’auteur ici respectée ne s'inscrivait pas délibérément dans le vaudeville.
Les comédiens sont toutes et tous à leur affaire. Cédric Colas nous fait un Perrichon tout simplement remarquable, drôle, pêchu, généreux et touchant. Et les autres ne sont pas en reste. Emmanuelle Galabru, Hugo Givort, Arthur Guézennec, Messaline Paillet et Guillaume Veyre (attention avec lui, risque de fous-rires). Quelle troupe !
Le relief moral du texte fuselé de Labiche est magnifiquement rendu par ce ”Voyage” succulent et drôlissime. Un spectacle riche et hilarant que je recommande vivement.
Spectacle vu le 30 janvier 2025
Frédéric Perez
De Eugène Labiche. Mise en scène Frédérique Lazarini. Scénographie François Cabanat. Costumes Dominique Bourde et Isabelle Pasquier. Lumières Xavier Lazarini. Musique et son François Peyrony. Assistante à la mise en scène Lydia Nicaud.
Avec Cédric Colas, Emmanuelle Galabru, Hugo Givort, Arthur Guézennec, Messaline Paillet et Guillaume Veyre.