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Ce moment de théâtre populaire, puissant et nécessaire, allie humour, information et pédagogie pour interpeller la conscience sociale du spectateur. La dénonciation citoyenne file tout le long, ironique et burlesque, et fait grand dam des profiteurs du système économique qui font la nique à la pauvreté du plus grand nombre. Des vérités cachées sur les manœuvres des crapoteux gavés de l’évasion fiscale aux raisons de la désobéissance civile, les sujets abordés le sont avec une justesse textuelle qui fait mouche, et qui n’appuie pas lourdement sur les messages portés quand bien même ceux-ci sont ravageurs et impactants.
« Le collectif activiste ’’Sauvons Les Riches’’ organise une action directe devant les locaux d'une entreprise suspectée de faciliter l’évasion fiscale. Parmi les personnalités soupçonnées, Jacques Trompe, candidat favori à l'élection présidentielle. Rosa, journaliste d’investigation idéaliste, vient couvrir l’évènement. Mais dans la confusion liée à l’action, elle est identifiée malgré elle porte-drapeau du collectif, et embarquée par la police... »
Amélie Cornu écrit adroitement un pamphlet théâtral ludique et vif, sous la forme d’une fiction accusatrice, proche de la satire parodique mais sans caricatures, où le fil narratif s’entrelace de faits réels avérés. L’écriture franche et souvent ironique est confectionnée à partir d'un travail documentaire fouillé et de la réalisation d'entretiens avec des personnalités politiques et des économistes.
La dramaturgie s'inscrit dans la lignée historique du théâtre militant, incisif et digne, à l'instar des Soties du moyen âge qui reprenaient les difficultés sociales au sein de la cité pour les revivre à l'envi devant les gens concernés, jusqu'aux Mistero Buffo ou jongleries populaires que Dario Fo et Franca Rame ont illustré dans les assemblées générales des usines en grève dans les années 60. Représentations sociales qui ont évolué vers des formes plus récentes de théâtre contestataire, depuis le Théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal toujours en vogue, au théâtre forum ou au théâtre immersif d’aujourd’hui.
Le spectacle « Les Évadés » court sur ce même chemin en y apportant ses attraits propres. Les personnages campés avec rigueur structurent la fiction et la rend crédible. Les procédés esthétiques comme la musique, la lumière, les costumes, les changements à vue, la vidéo en direct ou les clips à la manière de storys ou de sujets de journal télévisé, donnent un éclat lumineux et attrayant aux propos, les enrichissent et les renforcent dans leur fourberie allègre et impertinente.
La mise en scène et la scénographie d'Amélie Cornu installent efficacement une radicalité dans l'expression des personnages qui n'hésitent pas à interpeller le public voire à le haranguer utilement. Ces invectives vont jusqu’au franchissement du 4ème mur sans le briser toutefois. Car certes oui, le spectacle est intrusif et bouscule la pensée dominante, mais nous sommes au théâtre et l’équipe au plateau ne l’oublie pas. Il y a du merveilleux qui s’instille entre les lignes, de l’humour qui forcit les traits pour que le « Radeau de la méduse » reste stable et magnifique.
Les six comédiens multiplient les performances, sacré texte pour une vingtaine de personnages. Jean Barlerin, Amélie Cornu, Tristan Legoff, Aurélie Noblesse, Cindy Rodrigues et Hugo Sablic sont convaincants, délicats et percutants. C’est superbement interprété.
Du théâtre politique et social comme on aime, traversé d'un humour corrosif, à la parole accessible, simple et documentée. Un spectacle qui fait appel habilement à la réflexion du public. Le tout joyeusement mis en vie et formidablement interprété. Je recommande vivement ce spectacle drôle et intelligent. Jusqu’au 26 février au théâtre de Belleville.
Spectacle vu le 9 février 2025
Frédéric Perez
Texte, mise en scène, scénographie et costumes Amélie Cornu. Regard artistique André Obadia. Création musicale Jo Zeugma et Fabrice l'Oiseau. Dispositif vidéo Jean Barlerin. Création graphique Clément Cornu. Création vidéo JT Ulysse André. Création lumière Emilie Nguyen. Regards extérieurs Elodie Segui et Pauline Van Lancker.
Avec Jean Barlerin, Amélie Cornu, Tristan Legoff, Aurélie Noblesse, Cindy Rodrigues et Hugo Sablic.