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Le monologue théâtral de LM Formentin prend pour point de départ « Le Discours de la servitude volontaire ou Contr'un » rédigé par Étienne de la Boétie, publié en 1574 sous la forme de fragments en latin puis en français deux ans plus tard. Formentin transcende le « Discours » pour le transporter jusqu’à nous, raflant au fil du temps passé les illustrations manifestes de son bien-fondé originel.

« Pourquoi les hommes acceptent-ils la domination d’un seul ? Sur les traces de La Boétie qui, dans son célèbre Discours sur la servitude volontaire, s’en prenait tant aux tyrans qu'aux peuples eux-mêmes, reposons-nous cette question : quelle est cette constante de l'Histoire qui veut que des millions d'hommes toujours se soumettent à un seul ? »

La gageure de faire de ce réquisitoire implacable contre l’absolutisme un spectacle de théâtre était risqué, reconnaissons-le. Cette audace relève du péril de lasser l’auditoire voire de détourner son attention sur l’essentiel du propos à retrouver ou à découvrir. Et bien non ! C’est grandiose et ça décape !

Les mots et les images portées de LM Formentin font sensation, transpercent la pensée et stimulent la réflexion. Le texte ne manque pas de piquant ni de provocation, nous interrogeant avec une impudence truffée d’évidences. À la fois puissants et politiquement incisifs, les mots nous touchent et font mouche, portés par leur ironie ou leur compassion. Le narrateur nous confronte avec moultes illustrations tirées de l’Histoire et de notre actualité, à l’état d'asservissement « volontaire » des êtres humains. Leur impossibilité de dire non, même dans le pire des cas. De faire le choix de la liberté en toute connaissance de cause. Une liberté qui ne coexiste pas avec la soumission et la peur. Une liberté qui est une conquête incessante. C’est une analyse pertinente et intemporelle sur l'autorité dévastatrice, sur la tyrannie du pouvoir. Jusqu’à démontrer que la servitude n'est pas imposée par la force, qu’elle est choisie volontairement.

La mise en scène de Jacques Connort, metteur en scène aguerri et inspiré qui est à l’initiative de ce projet, donne une vision sensible et aiguisée à cette diatribe aux mille facettes. Sa scénographie installe au propre comme au figuré le double-jeu cathartique que le Théâtre impose en posant là avec force espièglerie dont le personnage s'empare, le miroir de nous-même, images de soi et images des autres en regard. Cet adroit et implacable procédé de mise en abyme est à saluer pour son audace et ses effets.

Jean-Paul Farré interprète ce texte magnifique avec évidence, délicatesse et puissance de jeu. La voix portant haut, son timbre magnant les nuances de l’intonation et la conviction dans les messages transmis, percutent et captivent le public. Pour cette mise en vie, Jean-Paul Farré revêt les habits d'un tribun simple et accessible qui interpelle, secoue et dispense une parole utile mêlée de doutes et de questionnements. Avec une interprétation raffinée, dépouillée et sans superflu, cet admirable comédien campe « un ancien magistrat aux traits de Diogène, à la fois sage et truculent, qui a longtemps observé les hommes et parcouru les époques ».

La réflexion et le plaisir des spectateurs sont maintenus en éveil dès le début et filent tout le long. Ce spectacle accessible et salvateur, captive littéralement le public. Voici un incontournable moment de réflexion spectaculairement donnée. C’est brillant et nécessaire. La prestation de Jean-Paul Farré est détonante et remarquable.

 

Spectacle vu le 6 février 2025

Frédéric Perez

 

Texte de LM Formentin d’après « Le Discours de la servitude volontaire ou Contr'un » d’Étienne de la Boétie. Mise en scène de Jacques Connort. Décor de Jean-Christophe Choblet. Costume de Isabelle Deffin. Musique de Raphaël Elig. Lumières de Arthur Deslandes.

Avec Jean-Paul Farré.

 

Photos © Laurencine Lot
Photos © Laurencine Lot
Photos © Laurencine Lot

Photos © Laurencine Lot

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