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Sur le plateau, deux chaises banales et un fauteuil Voltaire, un espace nu, quelques jeux d’ombre et de lumière. Rien de spectaculaire. C’est dans ce dépouillement volontaire que l’autrice Sandie Masson, également comédienne dans la pièce, pose les fondations de ce spectacle troublant, dérangeant et drôle, puissamment humain.
« Avec plaisirs est une pulsion de vie qui s’attaque au lien du couple à un tournant de son existence, au travers d’histoires qui sont un peu les nôtres. On pense connaître son conjoint et finalement, on le découvre différent. Comment négocie-t-on avec la tombée du masque, celui qui se fendille parfois tardivement et vient faire exploser l’équilibre instable des rapports établis depuis des années ? La psychothérapie sert ici de catalyseur pour réorganiser une relation plus vraie, afin de cultiver le véritable amour, celui qui ose accepter l’autre dans sa globalité. »
Le texte charpenté et dense, sans être pesant, place en miroir l’une en face de l’autre, deux figures dont les récits s’entrelacent, s’affrontent, se contaminent. Tout le long, l'humour de la dérision plane et plonge en piqué tout à coup, laissant échapper des rires. Une mise en distance nécessaire et agréable pour un théâtre qui revêt ici l'apparence d'un laboratoire intime où l’on examine, presque chirurgicalement, les ressorts de la domination, les mécanismes du déni, les pièges du fantasme et les lois du désir.
Denis Lachaud à la mise en scène choisit de ne rien masquer, de ne rien adoucir. Il laisse les corps et les mots dire ce qu’on ne peut ou ne veut pas toujours entendre. Les relations de pouvoir, les zones grises du consentement et les contradictions du désir. Une mise en scène habile et efficace.
La création lumière d’Éric Schoenzetter joue un rôle éminent, elle découpe l’espace et laisse entrevoir des angles morts, comme autant d’échos aux zones d’ombre du récit. Par moments, les visages disparaissent dans la pénombre, à d’autres, ils surgissent avec une brutalité crue. Il y a quelque chose de cinématographique dans ce travail, qui sculpte les tensions et accompagne les glissements narratifs.
Les comédiens Benoît Giros et Sandie Masson avancent au bord du gouffre avec une retenue bouleversante, une précision sûre. Aucun débordement. Une incarnation juste, simple, essentielle.
Sandie Masson impose une présence à la fois fragile et inébranlable, voix posée, regard clair. Selon les récits, elle expose ou questionne un vécu, une mémoire, un corps traversé par des violences souvent banalisées.
Benoît Giros, selon les récits aussi, trouble, irrite, interroge, émeut. Il ne cherche jamais à séduire ou à s’excuser. Comme quand il est cet homme, dans toute son ambiguïté, qui refuse de se penser coupable, tout en racontant ce qui pourrait l’accuser.
Les dialogues deviennent souvent des duos-duels où le spectateur ne peut pas rester indifférent.
Cette pièce ne cherche pas à faire une leçon de morale, préférant la complexité au slogan, l’écoute au jugement. Le spectateur, qu'il le veuille ou non, est conduit à se questionner dans ce qu’il a de plus intime. Ses souvenirs, ses propres silences, ce qu’il a consenti ou voulu, ce qu’il a laissé faire. Certains passages dérangent, forcément. D’autres bouleversent par leur vérité nue. Mais jamais le texte ne trahit son ambition première, dire ce qui est trop souvent tu à propos de la recherche du plaisir, cette sombre ou lumineuse satisfaction du désir.
Du théâtre aux résonances psychosociales comme on aime. Des constats sont posés et interrogent sans asséner des réponses, élargissant les questions. En cela, et c’est tant mieux, le théâtre hisse haut une de ses fonctions sociopolitiques. Celle de créer de l’inconfort pour permettre la prise de conscience.
Un spectacle à la force puissante et troublante, à l’esthétique d’ensemble admirable, formidablement bien joué. Un très bon moment de théâtre.
Spectacle vu le 25 juillet 2025
Frédéric Perez
De Sandie Masson. Mise en scène de Denis Lachaud. Création lumière de Éric Schoenzetter.
Avec Benoit Giros et Sandie Masson.
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