Quel plaisir, mais quel plaisir !... Voir jouer Catherine Hiegel est un enchantement à chaque fois renouvelé.
Le talent, l’expérience et la présence en scène si naturelle et évidente de cette figure emblématique et incontournable du théâtre s’exposent à nouveau dans ce monologue de Jean-Luc Lagarce, en force et en splendeur, sans falbalas inutiles ni appuis scénographiques trompeurs. L’élégance du bien-dit et les variations de puissances de jeu au service du texte, c’est tout. Simple et détonant à la fois. Une leçon !...
« Naître, ce n’est pas compliqué. Mourir, c’est très facile. Vivre, entre ces deux événements, ce n’est pas nécessairement impossible. Il n’est question que de suivre les règles et d’appliquer les principes pour s’en accommoder, il suffit de savoir qu’en toutes circonstances, il existe une solution, un moyen de réagir et de se comporter, une explication aux problèmes, car la vie n’est qu’une longue suite d’infimes problèmes, qui, chacun, appellent et doivent connaître une réponse. »
Créée en avril 1996, cette pièce à personnage unique s'inspire d'un ouvrage homonyme écrit par la baronne Staffe en 1889. De son vrai nom Blanche Soyer, écrivaine et journaliste, la baronne Staffe n’était pas plus baronne que vous et moi.
Jean-Luc Lagarce a maintenu volontairement et judicieusement cette-même dénomination, plus de cent ans plus tard. Installant ainsi le paradoxe apporté par le terme de modernité et situant la dénonciation des normes sociales rigides aux caractères sexistes et liberticides dans une dimension contemporaine et perpétuée encore aujourd’hui, d’hier à demain. Paradoxe bienvenu pour cingler fortement de sa résonnance cathartique inclusive la double énonciation du message théâtral.
Le personnage de la Dame (ou Catherine Hiegel, on ne sait pas, on ne sait plus, tant la comédienne « est » le personnage) n’y va pas par quatre chemins pour désigner du doigt le mal-fait des sentiments, l’écart disgracieux de tant de propos et de gestes inconvenants en société, l’impudence éhontée de si nombreuses relations affectives ou amoureuses. La Dame dicte les interdits comme on énonce une liste anodine de courses à retenir et ne se prive pas d’invectiver le public qui pourrait ne pas avoir suivi ou compris, multipliant les adresses directes. Lagarce pose avec justesse et perfidie une foudroyante et classieuse ironie dans les sarcasmes de sa pièce pour dénoncer le ridicule de la bienpensance. L’absurde horrifiant qui file tout le long des dictats égrenés se cogne inlassablement contre le mur de la dérision placé par l’auteur. Un délice de texte.
La mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo œuvre à la fluidité de cette monstrueuse conférence. La mise en espace et en mouvements articulée avec le texte s’amuse de la manipulation d’accessoires simples et de gros livres symbolisant la véracité et le sacré des connaissances proférées. La direction de jeux, sans doute plus proche de la guidance, se révèle habilement discrète, jouant avec le « dedans-dehors » et conduisant par moments les situations au bord du délire.
L’incarnation de cette cynique et délirante farandole d’interdits par Catherine Hiegel relève de la prouesse théâtrale. Il y a là comme un précis d’interprétation. Jamais trop ni pas assez. Une dignité condescendante dans la silhouette et les postures. Un juste et décapant débit de voix. Une diction claire aux allures martiales piquées d’exclamations aux accents clownesques. Une permanente et fine espièglerie un rien garce et un bon peu déjantée : « La Dame » !... de pied en cape, du bi du bout des doigts jusqu’au bord des lèvres. Sans compter sur une vis comica dingue purement maitrisée. Les fous rires éclatent, les rires fusent et les sourires attendent leur tour. Du très grand art ! Bravo et merci pour ce si bon moment de théâtre (et pour la présentation de lophophores !).
Un spectacle hilarant d’une élégance fourbe savoureuse. Un grand texte de Lagarce servi par une grande dame du théâtre. Incontournable moment de plaisir intelligent et drôle.
Spectacle vu le 21 octobre 2021
Frédéric Perez
De Jean-Luc Lagarce. Mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo.
Avec Catherine Hiegel.
Du mardi au samedi 19h ou 21h en alternance
(voir sur le site du théâtre)
17 rue René Boulanger, Paris 10ème
01.42.08.00.32 www.petitstmartin.com