SOIE au théâtre du Lucernaire

Ce spectacle est une invitation à un voyage sensible et sensuel, érotique et charnel, beau et doux comme un conte d’amour et de mélancolie. Un voyage dans les secrets de l’intime d’un homme dont le cœur s’est ancré loin, au-delà des conventions et des habitudes, là où se lovent les souvenirs heureux aux côtés des douleurs inguérissables et languissantes de l’arrachement.

« Vers 1860, Hervé Joncour entreprend quatre voyages au Japon, pour acheter des œufs de vers à soie. Dans ce pays dangereux et lointain, il va tomber follement amoureux d’une belle inconnue et cette rencontre va bouleverser sa vie. Désir, passion, velours d’une voix, sacralisation d’un tissu magnifique sont autant de fils impalpables qui tissent cette histoire dans laquelle s’entrelacent trois beaux portraits de femme : l’inconnue fantasmée à l’autre bout du monde, l’épouse aimante et fidèle et une tenancière de bordel ».

Tombé en amour pour une inconnue, dans l’impossibilité de se relever et d’éteindre la flamme dont il garde les brulures, c’est d’un homme touché par la grâce de ce bonheur dont on nous raconte ici le périple unique et merveilleux. Meurtri par la frustration d’une passion tissée des souffrances du manque et par le déchirement de l’abandon qu’il lui faut assumer, Joncour nous émeut et son récit nous trouble.

Le texte de Alessandro Baricco, d’une finesse d’énonciation agréable et fluide, décrit tous ses personnages avec une empathie chaleureuse, notamment ceux qui signifient les enjeux et les liens de cet hymne à l’amour.

De Hervé Joncour, le héros aventureux et contemplatif de ce parcours heurté « qui contemplait son destin à la façon dont on contemple un jour de pluie » ;

En passant par la jeune aimée « dont ses yeux n’avaient pas la forme orientale et son visage était celui d’une jeune fille » ;

Ou madame Blanche « 12 rue Mosca à Nîmes, qui avait des fleurs bleues enroulées autour des doigts "comme des bagues" » ;

Jusqu’à bien sûr sa sublime épouse Hélène, l’être admirable que chaque amour imaginé, sublimé ou espéré doit rêver un jour.

Les sentiments exprimés dans cette histoire et les sensations ressenties qui surgissent de ces preuves d’amour parsemées nous atteignent au plus profond, tout proche du cœur, laissant venir une kyrielle de fantasmes, de chimères et d’espérances. Il ressort de ce récit conté comme une ode à la beauté et la sensualité du désir.

C’est avec une grande délicatesse que Sylvie Dorliat nous offre ce dévoilement progressif et labyrinthique. Magnifique comédienne aux talents de conteuse, elle sert avec un engagement passionné et une pudeur discrète entremêlés, les phrasés énigmatiques à la tendresse infinie du texte de Baricco.

Sa voix chaude et enveloppante, la variété de timbres et de tessitures, la diction claire et précise, les postures de confidence au tonus coloré, nous bercent, nous captivent et nous emportent tout près de Lui, si proche d’Elles. Nous restons cois, touchés et captés par ce flot de sensations qui vient pousser les portes de notre imaginaire et de notre intimité.

La mise en scène ingénieuse de William Mesguish, la direction de jeux insufflée, les lumières veloutées, les suggestions scénographiques éthérées, le tout judicieusement placé, donnent au récit une théâtralité à la douceur onirique savoureuse. La création visuelle de Karine Zibaut et la création sonore de David Van Tongerloo contribuent efficacement à créer l’univers feutré et envoutant de ce très joli spectacle.

Un moment de théâtre tout en beauté soyeuse et tendre dans lequel il est bon de se laisser prendre et surprendre. Instant de doux bonheur assuré, ne le manquez pas.

Spectacle vu le 19 octobre 2021

Frédéric Perez

De Alessandro Baricco. Texte français de Françoise Brun. Mise en scène et création lumière de William Mesguich. Création sonore de David Van Tongerloo. Création visuelle de Karine Zibaut.

Avec Sylvie Dorliat.